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eues, et, de plus, que vous vous joindrez à moi pour déterminer notre ami commun Durcet de me donner sa fille Constance, pour laquelle je vous avoue que j’ai conçu à peu près les mêmes sentiments que vous avez formés pour Julie. — Mais, dit Curval, vous n’ignorez pas sans doute que Durcet, aussi libertin que vous… — Je sais tout ce qu’on peut savoir, reprit le duc. Est-ce à notre âge et avec notre façon de penser que des choses comme cela arrêtent ? Croyez-vous que je veuille une femme pour en faire ma maîtresse ? Je la veux pour servir mes caprices, pour voiler, pour couvrir une infinité de petites débauches secrètes que le manteau de l’hymen enveloppe à merveille. En un mot, je la veux comme vous voulez ma fille : croyez-vous que j’ignore et votre but et vos désirs ? Nous autres libertins, nous prenons des femmes pour être nos esclaves ; leur qualité d’épouses les rend plus soumises que des maîtresses, et vous savez de quel prix est le despotisme dans les plaisirs que nous goûtons. »

Sur ces entrefaites Durcet entra. Les deux amis lui rendirent compte de leur conversation, et le traitant, enchanté d’une ouverture qui le mettait à même d’avouer les sentiments qu’il avait également conçus pour Adélaïde, fille du président, accepta le duc pour son gendre aux conditions qu’il deviendrait celui de Curval. Les trois mariages ne tardèrent pas à se conclure, les dots furent immenses et les clauses égales. Le président, aussi coupable que ses deux amis, avait, sans dégoûter Durcet, avoué son petit commerce secret avec sa propre fille, au moyen de quoi les trois pères, voulant chacun conserver leurs droits, convinrent, pour les étendre encore davantage, que les trois jeunes personnes, uniquement liées de biens et de nom à leur époux, n’appartiendraient relativement au corps pas plus à l’un des trois qu’à l’autre, et également à chacun d’eux, sous peine des punitions les plus sévères si elles s’avisaient d’enfreindre aucune des clauses auxquelles on les assujettissait.

On était à la veille de conclure lorsque l’évêque de …, déjà lié de plaisir avec les deux amis de son frère, proposa de mettre un quatrième sujet dans l’alliance, si on voulait le laisser participer aux trois autres. Ce sujet, la seconde fille du duc et par conséquent sa nièce, lui appartenait de bien plus près encore qu’on ne l’imaginait. Il avait eu des liaisons avec sa belle-sœur, et les deux frères savaient à n’en pouvoir douter que l’existence de cette jeune personne, qui se nommait Aline, était bien plus certainement due à l’évêque qu’au duc : l’évêque qui s’était, dès le berceau, chargé du soin d’Aline, ne l’avait pas, comme on imagine bien, vu arriver à l’âge des charmes sans en vouloir jouir. Ainsi il était sur ce point l’égal de ses confrères, et l’effet qu’il proposait dans le commerce avait le même degré d’avarie ou de dégradation ; mais comme ses attraits et sa tendre jeunesse l’emportaient encore sur ses trois compagnes, on ne balança point à accepter le marché. L’évêque, comme les trois autres, céda en conservant ses droits, et chacun de nos quatre personnages ainsi liés se trouva donc mari de quatre femmes.