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existe, le pareil livre ne se rencontrant ni chez les anciens ni chez les modernes. Imagine-toi que toute jouissance honnête ou prescrite par cette bête dont tu parles sans cesse sans la connaître et que tu appelles nature, que ces jouissances, dis-je, seront expressément exclues de ce recueil et que lorsque tu les rencontreras par aventure, ce ne sera jamais qu’autant qu’elles seront accompagnées de quelque crime ou colorées de quelque infamie. Sans doute, beaucoup de tous les écarts que tu vas voir peints te déplairont, on le sait, mais il s’en trouvera quelques-uns qui t’échaufferont au point de te coûter du foutre, et voilà tout ce qu’il nous faut. Si nous n’avions pas tout dit, tout analysé, comment voudrais-tu que nous eussions pu deviner ce qui te convient. C’est à toi à les prendre et à laisser le reste ; un autre en fera autant ; et petit à petit tout aura trouvé sa place. C’est ici l’histoire d’un magnifique repas où six cents plats divers s’offrent à ton appétit. Les manges-tu tous ? Non, sans doute, mais ce nombre prodigieux étend les bornes de ton choix, et, ravi de cette augmentation de facultés, tu ne t’avises pas de gronder l’amphitryon qui te régale. Fais de même ici : choisis et laisse le reste, sans déclamer contre ce reste, uniquement parce qu’il n’a pas le talent de te plaire. Songe qu’il plaira à d’autres, et sois philosophe. Quant à la diversité, sois assuré qu’elle est exacte ; étudie bien celle des passions qui te paraît ressembler sans nulle différence à une autre, et tu verras que cette différence existe et, quelque légère qu’elle soit, qu’elle a seule précisément ce raffinement, ce tact, qui distingue et caractérise le genre de libertinage dont il est ici question. Au reste, on a fondu ces six cents passions dans le récit des historiennes : c’est encore une chose dont il faut que le lecteur soit prévenu. Il aurait été trop monotone de les détailler autrement et une à une, sans les faire entrer dans un corps de récit. Mais comme quelque lecteur, peu au fait de ces sortes de matières, pourrait peut-être confondre les passions désignées avec l’aventure ou l’événement simple de la vie de la conteuse, on a distingué avec soin chacune de ces passions par un trait en marge, au-dessus duquel est le nom qu’on peut donner à cette passion. Ce trait est à la ligne juste où commence le récit de cette passion, et il y a toujours un alinéa où elle finit. Mais comme il y a beaucoup de personnages en action dans cette espèce de drame, que malgré l’attention qu’on a eu dans cette introduction de les peindre et de les désigner tous, on va placer une table qui contiendra le nom et l’âge de chaque acteur, avec une légère esquisse de son portrait. À mesure que l’on rencontrera un nom qui embarrassera dans les récits, on pourra recourir à cette table et, plus haut, aux portraits étendus, si cette légère esquisse ne suffit pas à rappeler ce qui aura été dit.