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soustraites à vos amis, à vos parents, vous êtes déjà mortes au monde et ce n’est plus que pour nos plaisirs que vous respirez. Et quels sont les êtres à qui vous voilà maintenant subordonnées ? Des scélérats profonds et reconnus, qui n’ont de dieu que leur lubricité, de lois que leur dépravation ; de frein que leur débauche, des roués sans dieu, sans principes, sans religion, dont le moins criminel est souillé de plus d’infamies que vous ne pourriez les nombrer et aux yeux de qui la vie d’une femme, que dis-je, d’une femme ? de toutes celles qui habitent la surface du globe, est aussi indifférente que la destruction d’une mouche. Il sera peu d’excès, sans doute, où nous ne nous portions : qu’aucun ne vous répugne, prêtez-vous sans sourciller et opposez à tous la patience, la soumission et le courage. Si malheureusement quelqu’une d’entre vous succombe à l’intempérie de nos passions, qu’elle prenne bravement son parti ; nous ne sommes pas dans ce monde pour toujours exister, et ce qui peut arriver de plus heureux à une femme, c’est de mourir jeune. On vous a lu des règlements fort sages, et très propres et à votre sûreté et à nos plaisirs ; exécutez-les aveuglément, et attendez-vous à tout de notre part si vous nous irritez par une mauvaise conduite : Quelques-unes d’entre vous avez avec nous des liens, je le sais, qui vous enorgueillissent peut-être et desquels vous espérez de l’indulgence. Vous seriez dans une grande erreur si vous y comptiez : nul lien n’est sacré aux yeux de gens tels que nous, et plus ils vous paraîtront tels, plus leur rupture chatouillera la perversité de nos âmes. Filles, épouses, c’est donc à vous que je m’adresse en ce moment, ne vous attendez à aucune prérogative de notre part ; nous vous avertissons que vous serez traitées même avec plus de rigueur que les autres, et cela précisément pour vous faire voir combien sont méprisables à nos yeux les liens dont vous nous croyez peut-être enchaînés. Au reste, ne vous attendez pas que nous vous spécifierons toujours les ordres que nous voudrons vous faire exécuter : un geste, un coup d’œil, souvent un simple sentiment interne notre part, vous les signifiera, et vous serez aussi punies de ne les avoir pas devinés et prévenus que si, après vous avoir été notifiés, ils eussent éprouvé une désobéissance de votre part. C’est à vous de démêler nos mouvements, nos regards, nos gestes, d’en démêler l’expression, et surtout de ne pas vous tromper à nos désirs. Car je suppose, par exemple, que ce désir fût de voir une partie de votre corps et que vous vinssiez maladroitement à offrir l’autre : vous sentez à quel point une telle méprise dérangerait notre imagination et tout ce qu’on risque à refroidir la tête d’un libertin qui, je le suppose, n’attendrait qu’un cul pour sa décharge et auquel on viendrait imbécilement présenter un con. En général, offrez-vous toujours très peu par-devant ; souvenez-vous que cette partie infecte que la nature ne forma qu’en déraisonnant est toujours celle qui nous répugne le plus. Et relativement à vos culs mêmes y a-t-il encore des précautions à garder, tant pour dissimuler, en l’offrant, l’antre odieux qui l’accompagne, que pour éviter de nous faire voir dans de certains moments ce cul dans un certain état où d’autres gens désireraient de le trouver