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Si un sujet quelconque entreprend une évasion pendant la tenue de l’assemblée, il sera à l’instant puni de mort, quel qu’il puisse être.

Les cuisinières et leurs aides seront respectées, et ceux des messieurs qui enfreindront cette loi payeront mille louis d’amende. Quant à ces amendes, elles seront toutes spécialement employées, au retour en France, à commencer les frais d’une nouvelle partie ou dans le genre de celle-ci, ou dans un autre.

Ces soins remplis et règlements promulgués le trente dans la journée, le duc passa la matinée du trente et un à tout vérifier, à faire faire des répétitions du tout et surtout à examiner avec soin la place, pour voir si elle n’était pas susceptible, ou d’être assaillie, ou de favoriser quelque évasion. Ayant reconnu qu’il faudrait être oiseau ou diable pour en sortir ou y entrer, il rendit compte à la société de sa commission, et passa la soirée du trente et un à haranguer les femmes. Elles s’assemblèrent toutes par son ordre dans le salon aux narrations, et, étant monté sur la tribune ou l’espèce de trône destiné à l’historienne, voici à peu près le discours qu’il leur tint :

« Êtres faibles et enchaînés, uniquement destinés à nos plaisirs, vous ne vous êtes pas flattés, j’espère, que cet empire aussi ridicule qu’absolu que l’on vous laisse dans le monde vous serait accordé dans ces lieux. Mille fois plus soumises que ne le seraient des esclaves, vous ne devez vous attendre qu’à l’humiliation, et l’obéissance doit être la seule vertu dont je vous conseille de faire usage : c’est la seule qui convienne à l’état où vous êtes. Ne vous avisez pas surtout de faire aucun fond sur vos charmes. Trop blasés sur de tels pièges, vous devez bien imaginer que ce ne serait avec nous que ces amorces-là pourraient réussir. Souvenez-vous sans cesse que nous nous servirons de vous toutes, mais que pas une seule ne doit se flatter de pouvoir seulement nous inspirer le sentiment de la pitié. Indignés contre les autels qui ont pu nous arracher quelques grains d’encens, notre fierté et notre libertinage les brisent dès que l’illusion a satisfait les sens, et le mépris presque toujours suivi de la haine remplace à l’instant dans nous le prestige de l’imagination. Qu’offrirez-vous d’ailleurs que nous ne sachions par cœur ? qu’offrirez-vous que nous ne foulions aux pieds, souvent même à l’instant du délire ? il est inutile de vous le cacher, votre service sera rude, il sera pénible et rigoureux, et les moindres fautes seront à l’instant punies de peines corporelles et afflictives. Je dois donc vous recommander de l’exactitude, de la soumission et une abnégation totale de vous-mêmes pour n’écouter que nos désirs : qu’ils fassent vos uniques lois, volez au-devant d’eux, prévenez-les et faites-les naître. Non pas que vous ayez beaucoup à gagner à cette conduite, mais seulement parce que vous auriez beaucoup à perdre en ne l’observant pas. Examinez votre situation, ce que vous êtes, ce que nous sommes, et que ces réflexions vous fassent frémir. Vous voilà hors de France, au fond d’une forêt inhabitable, au-delà de montagnes escarpées dont les passages ont été rompus aussitôt après que vous les avez eu franchis. Vous êtes enfermées dans une citadelle impénétrable ; qui que ce soit ne vous y sait ; vous êtes