Page:Sade - Les 120 journées de Sodome (édition numérique).djvu/37

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— Page 37 —

garnies chacune d’un petit lit, et cet appartement était celui des jeunes filles, à côté duquel se trouvaient deux petites chambres pour deux des vieilles qui devaient en avoir soin ; au-delà, deux jolies chambres égales étaient destinées à deux des historiennes. Sur le retour, on trouvait un même appartement à huit niches en alcôve pour les huit jeunes garçons, ayant de même deux chambres auprès pour les deux duègnes que l’on destinait à les surveiller, et, au-delà, deux autres chambres également pareilles pour les deux autres historiennes. Huit jolis capucins, au-dessus de ce qu’on vient de voir, formaient le logement des huit fouteurs, quoique destinés à fort peu coucher dans leur lit. Dans le rez-de-chaussée se trouvaient les cuisines avec six cellules pour les six êtres que l’on destinait à ce travail, lesquelles étaient trois fameuses cuisinières. On les avait préférées à des hommes pour une partie comme celle-là, et je crois qu’on avait eu raison. Elles étaient aidées de trois jeunes filles robustes, mais rien de tout cela ne devait paraître aux plaisirs, rien de tout cela n’y était destiné, et si les règles que l’on s’était imposées sur cela furent enfreintes, c’est que rien ne contient le libertinage, et que la vraie façon d’étendre et de multiplier ses désirs est de vouloir lui imposer des bornes. L’une de ces trois servantes devait avoir soin du nombreux bétail que l’on avait amené, car, excepté les quatre vieilles destinées au service intérieur, il n’y avait absolument point d’autre domestique que ces trois cuisinières et leurs aides. Mais la dépravation, la cruauté, le dégoût, l’infamie, toutes ces passions prévues ou senties avaient bien érigé un autre local dont il est urgent de donner une esquisse, car les lois essentielles à l’intérêt de la narration empêchent que nous ne le peignions en entier. Une fatale pierre se levait artistement sous le marchepied de l’autel du petit temple chrétien que nous avons désigné dans la galerie ; on y trouvait un escalier en vis, très étroit et très escarpé, lequel, par trois cents marches, descendait aux entrailles de la terre dans une espèce de cachot voûté, fermé par trois portes de fer et dans lequel se trouvait tout ce que l’art le plus cruel et la barbarie la plus raffinée peuvent inventer de plus atroce, tant pour effrayer les sens que pour procéder à des horreurs. Et là, que de tranquillité ! Jusqu’à quel point ne devait pas être rassuré le scélérat que le crime y conduisait avec une victime ! Il était chez lui, il était hors de France, dans un pays sûr, au fond d’une forêt inhabitable, dans un réduit de cette forêt que, par les mesures prises, les seuls oiseaux du ciel pouvaient aborder, et il y était dans le fond des entrailles de la terre. Malheur, cent fois malheur à la créature infortunée qui, dans un pareil abandon, se trouvait à la merci d’un scélérat sans loi et sans religion, que le crime amusait, et qui n’avait plus là d’autre intérêt que ses passions et d’autres mesures à garder que les lois impérieuses de ses perfides voluptés. Je ne sais ce qui s’y passera, mais ce que je puis dire à présent sans blesser l’intérêt du récit, c’est que, quand on en fit la description au duc, il en déchargea trois fois de suite.