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aillent, mais les précipices environnent de toutes parts si tellement le sentier qu’il faut suivre, qu’il y a le plus grand danger à s’exposer sur eux. Six de ceux qui transportèrent les vivres et les équipages y périrent, ainsi que deux ouvriers qui avaient voulu monter deux d’entre eux. Il faut près de cinq grosses heures pour parvenir à la cime de la montagne, laquelle offre là une autre espèce de singularité qui, par les précautions que l’on prit, devint une nouvelle barrière si tellement insurmontable qu’il n’y avait plus que les oiseaux qui pussent la franchir. Ce caprice singulier de la nature est une fente de plus de trente toises sur la cime de la montagne, entre sa partie septentrionale et sa partie méridionale, de façon que, sans les secours de l’art, après avoir grimpé la montagne, il devient impossible de la redescendre. Durcet a fait réunir ces deux parties, qui laissent entre elles un précipice de plus de mille pieds de profondeur, par un très beau pont de bois, que l’on abattit dès que les derniers équipages furent arrivés : et, de ce moment-là, plus aucune possibilité quelconque de communiquer au château de Silling. Car, en redescendant la partie septentrionale, on arrive dans une petite plaine d’environ quatre arpents, laquelle est entourée de partout de rochers à pic dont les sommets touchent aux nues, rochers qui enveloppent la plaine comme un paravent et qui ne laissent pas la plus légère ouverture entre eux. Ce passage, nommé le chemin du pont, est donc l’unique qui puisse descendre et communiquer dans la petite plaine, et une fois détruit, il n’y a plus un seul habitant de la terre, de quelque espèce qu’on veuille le supposer, à qui il devienne possible d’aborder la petite plaine. Or, c’est au milieu de cette petite plaine si bien entourée, si bien défendue, que se trouve le château de Durcet. Un mur de trente pieds de haut l’environne encore ; au-delà du mur, un fossé plein d’eau et très profond défend encore une dernière enceinte formant une galerie tournante ; une poterne basse et étroite pénètre enfin dans une grande cour intérieure autour de laquelle sont bâtis tous les logements. Ces logements fort vastes, fort bien meublés par les derniers arrangements pris, offrent d’abord au premier étage une très grande galerie. Qu’on observe que je vais peindre les appartements non tels qu’ils pouvaient être autrefois, mais comme ils venaient d’être arrangés et distribués relativement au plan projeté. De la galerie on pénétrait dans un très joli salon à manger, garni d’armoires en forme de tours qui, communiquant aux cuisines, donnaient la facilité d’être servi chaud, promptement et sans qu’il fût besoin du ministère d’aucun valet. De ce salon à manger, garni de tapis, de poêles, d’ottomanes, d’excellents fauteuils, et de tout ce qui pouvait le rendre aussi commode qu’agréable, on passait dans un salon de compagnie, simple, sans recherche, mais extrêmement chaud et garni de fort bons meubles. Ce salon communiquait à un cabinet d’assemblée, destiné aux narrations des historiennes : c’était, pour ainsi dire, là le champ de bataille des combats projetés, le chef-lieu des assemblées lubriques, et comme il avait été orné en conséquence, il mérite une petite description particulière. Il était d’une forme demi-circulaire. Dans la partie cintrée se trouvaient quatre