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La septième se nommait Rosette : elle avait treize ans, elle était fille du lieutenant général de Chalon-sur-Saône. Son père venait de mourir ; elle était à la campagne chez sa mère, près de la ville, et on l’enleva sous les yeux mêmes de ses parents, en contrefaisant les voleurs.

La dernière s’appelait Mimi ou Michette : elle avait douze ans, elle était fille du marquis de Senanges et avait été enlevée dans les terres de son père, en Bourbonnais, à l’instant d’une promenade en calèche qu’on lui avait laissé faire avec deux ou trois seules femmes du château, qui furent assassinées.

On voit que les apprêts de ces voluptés coûtaient bien des sommes et bien des crimes. Avec de tels gens, les trésors faisaient peu de chose, et quant aux crimes, on vivait alors dans un siècle où il s’en fallait bien qu’ils fussent recherchés et punis comme ils l’ont été depuis. Moyen en quoi, tout réussit, et si bien que nos libertins ne furent jamais inquiétés des suites et qu’à peine y eut-il des perquisitions.

L’instant de l’examen des jeunes garçons arriva. Offrant plus de facilités, leur nombre fut plus grand. Les appareilleurs en présentèrent cent cinquante, et je n’exagérerai sûrement pas en affirmant qu’ils égalaient au moins la classe des jeunes filles, tant par leur délicieuse figure que par leurs grâces enfantines, leur candeur, leur innocence et leur noblesse. Ils étaient payés trente mille francs chacun, le même prix que les filles, mais les entrepreneurs n’avaient rien à risquer parce que ce gibier étant et plus délicat, et bien plus du goût de nos sectateurs, il avait été décidé qu’on ne ferait perdre aucun frais, qu’on renverrait bien, à la vérité, ce dont on ne s’arrangerait pas, mais que, comme on s’en servirait, ils seraient également payés. L’examen se fit comme celui des femmes. On en vérifia dix tous les jours, avec la précaution très sage et qu’on avait un peu trop négligée avec les filles, avec la précaution, dis-je, de décharger toujours par le ministère des dix présentés, avant de procéder à l’examen. On voulait presque exclure le président, on se méfiait de la dépravation de ses goûts ; on avait pensé être dupe, dans le choix des filles, de son maudit penchant à l’infamie et à la dégradation. Il promit de ne s’y point livrer, et s’il tint parole, ce ne fut vraisemblablement pas sans peine, car lorsqu’une fois l’imagination blessée ou dépravée s’est accoutumée à ces espèces d’outrages au bon goût et à la nature, outrages qui la flattent si délicieusement, il est très difficile de la ramener dans le bon chemin : il semble que l’envie de servir ses goûts lui ôte la faculté d’être maîtresse de ses jugements. Méprisant ce qui est vraiment beau et ne chérissant plus que ce qui est affreux, elle prononce comme elle pense, et le retour à des sentiments plus vrais lui paraîtrait un tort fait à des principes dont elle serait bien fâchée de s’écarter. Cent sujets furent unanimement reçus dès les premières séances achevées, et il fallut revenir cinq fois de suite sur ces jugements pour extraire le petit nombre qui devait seul être admis. Trois fois de suite il en resta cinquante, lorsqu’on fut obligé d’en venir à des moyens singuliers pour déparer en quelque sorte les idoles