Page:Sade - Les 120 journées de Sodome (édition numérique).djvu/247

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— Page 247 —

trouver la boîte. “Ah ! scélérate, me dit-il, me voilà donc convaincu. Bougresse ! tu viens chez les gens pour les voler.” Et appelant aussitôt son homme de confiance : “Allez, lui dit-il tout en feu, allez me chercher à l’instant le commissaire ! — Oh ! monsieur, m’écriai-je, ayez pitié de ma jeunesse, j’ai été séduite, je ne l’ai pas fait de moi-même, on m’y a engagée… — Eh bien ! dit le paillard, vous direz toutes ces raisons-là à l’homme de justice, mais je veux être vengé.” Le valet sort ; il se jette sur un fauteuil, toujours bandant et toujours dans une grande agitation, et m’adressant mille invectives. “Cette gueuse, cette scélérate ! disait-il, moi qui voulais la récompenser comme il faut, venir ainsi chez moi pour me voler !… Ah ! parbleu, nous allons voir.” En même temps on frappe, et je vois entrer un homme en robe. “Monsieur le commissaire, dit le patron, voilà une coquine que je vous remets, et je vous la remets nue, dans l’état où je l’ai fait mettre pour la fouiller ; voilà la fille d’un côté, ses vêtements de l’autre, et, de plus, l’effet dérobé ; et surtout faites-la pendre, monsieur le commissaire.” Ce fut alors qu’il se rejeta sur son fauteuil en déchargeant. “Oui, faites-la pendre, sacredieu ! Que je la voie pendre, sacredieu, monsieur le commissaire ! que je la voie pendre, c’est tout ce que j’exige de vous.” Le prétendu commissaire m’emmène avec l’effet et mes hardes, il me fait passer dans une chambre voisine, défait sa robe, et me laisse voir le même valet qui m’avait reçue et engagée au vol, que le trouble dans lequel j’étais m’avait empêchée de reconnaître. “Eh bien ! me dit-il, avez-vous eu bien peur ? — Hélas, lui dis-je, je n’en puis plus. — C’est fini, me dit-il, et voilà pour vous dédommager.” Et, en même temps, il me remet de la part de son maître l’effet même que j’avais volé, me rend mes habits, me fait boire un verre de liqueur, et me ramène chez Mme Guérin. »

« Cette manie-là est plaisante, dit l’évêque ; on peut en tirer le plus grand parti pour d’autres choses, et en mettant moins de délicatesse, car je vous dirai que je suis peu partisan de la délicatesse en libertinage. En y en mettant moins, dis-je, on peut apprendre de ce récit la manière sûre d’empêcher une putain de se plaindre, quelle que soit l’iniquité des procédés qu’on veuille employer avec elle. Il n’y a qu’à lui tendre ainsi des panneaux, l’y faire tomber, et dès qu’une fois on est certain de l’avoir rendue coupable, on peut à son tour faire tout ce qu’on veut ; il n’y a plus à craindre qu’elle ose se plaindre, elle aura trop peur ou d’être prévenue ou d’être récriminée. — Il est certain, dit Curval, qu’à la place du financier je m’en serais permis davantage, et vous auriez bien pu, ma charmante Duclos, ne pas vous en tirer à si bon compte. » Les récits ayant été longs, cette soirée-ci, l’heure du souper vint sans qu’on eût le temps de paillarder un peu avant. On fut donc se mettre à table, bien résolus de se dédommager après le repas. Ce fut alors que tout le monde étant rassemblé, on détermina de constater enfin les jeunes filles et les jeunes garçons que l’on pouvait mettre au rang des hommes et des femmes. Il fut question, pour décider la chose, de branler