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moi, me fit faire, deux jours après, la partie suivante où elle m’avertit encore moins.

« Il s’agissait à peu près, comme dans celle que je viens de vous raconter, de se trouver dans le cabinet de l’appartement d’un fermier général, mais j’y étais, cette fois-là, avec le valet même qui était venu me chercher chez la Guérin de la part de son maître. En attendant l’arrivée du patron, le valet s’amusait à me faire voir plusieurs bijoux qui étaient dans un bureau de ce cabinet. “Parbleu, me dit l’honnête mercure, quand vous en prendriez quelqu’un, il n’y aurait pas grand mal ; le vieux crésus est assez riche : je parie qu’il ne sait seulement pas la quantité ni l’espèce des bijoux qu’il tient dans ce bureau. Croyez-moi, ne vous gênez pas, et n’ayez pas peur que ce soit moi qui vous trahisse.” Hélas ! je n’étais que trop disposée à suivre ce perfide conseil : vous connaissez mes penchants, je vous les ai dits. Je mis donc la main, sans me le faire dire davantage, sur une petite boîte d’or de sept ou huit louis, n’osant m’emparer d’un objet de plus grande valeur. C’était tout ce que désirait le coquin de valet, et pour ne plus revenir sur cela, j’appris depuis que, si j’avais refusé de prendre, il aurait, sans que je m’en aperçusse, glissé un de ces effets dans ma poche. Le maître arrive, il me reçoit très bien, le valet sort, et nous restons ensemble. Celui-ci ne faisait pas comme l’autre, il s’amusait très réellement : il me baisa beaucoup le derrière, se fit fouetter, se fit péter dans la bouche, mit son vit dans la mienne, et se gorgea, en un mot, de lubricités de tous genres et toutes espèces, excepté celle de devant ; mais il eut beau faire, il ne déchargea point. L’instant n’était pas venu, tout ce qu’il venait de faire n’était pour lui que des épisodes ; vous en allez voir le dénouement. “Ah ! parbleu, me dit-il, je ne songe pas qu’un domestique attend dans mon antichambre un petit bijou que je viens de promettre d’envoyer à l’instant à son maître. Permettez que je m’acquitte de ma parole, et dès que j’aurai fini, nous nous remettrons en besogne.” Coupable du petit délit que je venais de commettre à l’instigation de ce maudit valet, je vous laisse à penser comme ce propos me fit frémir. Un moment je voulus le retenir ; ensuite je fis réflexion qu’il valait mieux faire bonne contenance et risquer le paquet. Il ouvre le bureau, il cherche, il fouille, et ne trouvant point ce dont il a besoin, il lance sur moi des regards furieux. “Coquine ! me dit-il enfin, vous seule et un valet dont je suis sûr êtes entrés ici depuis tantôt ; mon effet manque, il ne peut donc être pris que par vous. — Oh ! monsieur, lui dis-je en tremblant, soyez certain que je suis incapable… — Allons, sacredieu ! dit-il en colère (or vous remarquerez que sa culotte était toujours déboutonnée et son vit collé contre son ventre : cela seul aurait dû m’éclairer et m’empêcher d’être si inquiète, mais je ne voyais, je n’apercevais plus rien), allons, bougresse, il faut que mon effet se trouve.” Il m’ordonne de me mettre nue. Vingt fois je me jette à ses pieds pour le prier de m’épargner l’humiliation d’une telle recherche : rien ne l’émeut, rien ne l’attendrit, il arrache lui-même mes vêtements avec colère, et dès que je suis nue, il fouille mes poches, et, comme vous croyez, il n’est pas longtemps à