Page:Sade - Les 120 journées de Sodome (édition numérique).djvu/242

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— Page 242 —

de poil. Son affaire finie, il baisa les parties qu’il venait de tondre, et répandit son foutre sur cette motte tondue en s’extasiant sur son ouvrage.

« Un autre exigeait sans doute une cérémonie bien plus bizarre : c’était le duc de Florville. J’eus ordre de conduire chez lui une des plus belles femmes que je pourrais trouver. Un valet de chambre nous reçut, et nous entrâmes à l’hôtel par une porte détournée. “Arrangeons cette belle créature, me dit le valet, comme il convient qu’elle le soit pour que M. le duc puisse s’en amuser… Suivez-moi.” Par des détours et des corridors aussi sombres qu’immenses, nous parvenons enfin à un appartement lugubre, seulement éclairé de six cierges, placés à terre autour d’un matelas de satin noir ; toute la chambre était tendue de deuil, et nous fûmes effrayées en entrant. “Rassurez-vous, nous dit notre guide, il ne vous arrivera pas le moindre mal ; mais prêtez-vous à tout, dit-il à la jeune fille, et exécutez bien surtout ce que je vais vous prescrire.” Il fit mettre la fille toute nue, défit sa coiffure, et laissa pendre ses cheveux, qu’elle avait superbes. Ensuite, il l’étendit sur le matelas, au milieu des cierges, lui enjoignit de contrefaire la morte, et surtout de prendre sur elle, pendant toute la scène, de ne bouger ni de ne respirer que le moins qu’elle pourrait. “Car, si malheureusement mon maître, qui va se figurer que vous êtes réellement morte, s’aperçoit de la feinte, il sortira furieux, et vous ne serez sûrement pas payée.” Dès qu’il eut placé la demoiselle sur le matelas, dans l’attitude d’un cadavre, il fit prendre à sa bouche et à ses yeux les impressions de la douleur, laissa flotter les cheveux sur le sein nu, plaça près d’elle un poignard, et lui barbouilla, du côté du cœur, une plaie large comme la main avec du sang de poulet. “Surtout n’ayez aucune crainte, dit-il encore à la jeune fille, vous n’avez rien à dire, rien à faire : il ne s’agit que d’être immobile et de ne prendre votre haleine que dans les moments où vous le verrez moins près de vous. Retirons-nous, maintenant, me dit le valet. Venez, madame ; afin que vous ne soyez pas inquiète de votre demoiselle, je vais vous placer dans un endroit d’où vous pourrez entendre et observer toute la scène.” Nous sortons, laissant la fille d’abord très émue, mais néanmoins un peu plus rassurée par les propos du valet de chambre. Il me mène dans un cabinet voisin de l’appartement où le mystère allait se célébrer, et, au travers d’une cloison mal jointe, sur laquelle la tenture noire était appliquée, je pus tout entendre. Observer me devenait encore plus aisé, car cette tenture n’était que de crêpe : je distinguais tous les objets au travers, comme si j’eusse été dans l’appartement même. Le valet tira le cordon d’une sonnette ; c’était le signal, et quelques minutes après, nous vîmes entrer un grand homme sec et maigre, d’environ soixante ans. Il était entièrement nu sous une robe de chambre flottante de taffetas des Indes. Il s’arrêta dès en entrant ; il est bon de vous dire ici que nos observations étaient une surprise, car le duc, qui se croyait absolument seul, était très éloigné de croire qu’on le regardât. “Ah ! le beau cadavre ! s’écria-t-il aussitôt… la belle morte !… Oh ! mon Dieu ! dit-il en voyant le sang et le poignard, ça vient d’être assassiné dans l’instant… Ah ! sacredieu, comme