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« Tu aurais secoué la colonne, toi, n’est-ce pas, Curval ? dit le duc. — Oh ! point du tout, vous vous trompez ; je connais trop le respect qu’on doit à la nature et à ses ouvrages. Le plus intéressant de tous n’est-il pas la propagation de notre espèce ? N’est-ce pas une espèce de miracle que nous devons sans cesse adorer, et qui doit nous donner pour celles qui le font le plus tendre intérêt ? Pour moi, je ne vois jamais une femme grosse sans être attendri : imaginez-vous donc ce que c’est qu’une femme qui, comme un four, fait éclore un peu de morve au fond de son vagin ! Il y a-t-il rien de si beau, rien de si tendre que cela ? Constance, venez je vous en prie, venez que je baise en vous l’autel où s’opère à présent un si profond mystère. » Et comme elle se trouvait positivement dans sa niche, il n’eut pas loin à aller chercher le temple qu’il voulait desservir. Mais il y a lieu de croire que ce ne fut pas absolument comme l’entendait Constance, qui pourtant ne s’y fiait qu’à demi, car on lui entendit sur-le-champ jeter un cri qui ne ressemblait nullement à la suite d’un culte ou d’un hommage. Et Duclos, voyant que le silence avait succédé, termina ses récits par le conte suivant :

« J’ai connu, dit cette belle fille, un homme dont la passion consistait à entendre les enfants pousser de grands cris. Il lui fallait une mère qui eût un enfant de trois ou quatre ans au plus ; il exigeait que cette mère battît rudement cet enfant devant lui, et quand la petite créature, irritée par ce traitement, commençait à pousser de grands cris, il fallait que la mère s’emparât du vit du paillard et le branlât fortement vis-à-vis de l’enfant, au nez duquel il déchargeait, dès qu’il le voyait bien en pleurs. »

« Je gage, dit l’évêque à Curval, que cet homme-là n’aimait pas la propagation plus que toi. — Je le croirai, dit Curval. Ce devait être d’ailleurs suivant le principe d’une dame de beaucoup d’esprit, à ce qu’on dit, ce devait être, dis-je, un grand scélérat, car tout homme, suivant elle, qui n’aime ni les bêtes, ni les enfants, ni les femmes grosses, est un monstre à rouer. Voilà mon procès tout fait au tribunal de cette vieille commère, dit Curval, car je n’aime assurément aucune de ces trois choses. » Et, comme il était tard et que l’interruption avait pris une forte portion de la soirée, on fut se mettre à table. On agita au souper les questions suivantes, savoir : à quoi servait la sensibilité dans l’homme, et si elle était utile à son bonheur ou non. Curval prouva qu’elle n’était que dangereuse, et que c’était le premier sentiment qu’il fallait émousser dans les enfants, en les accoutumant de bonne heure aux spectacles les plus féroces. Et chacun ayant agité différemment la question, on en revint à l’avis de Curval. Après souper, le duc et lui dirent qu’il fallait envoyer coucher les femmes et les petits garçons et faire les orgies tout en hommes. Tout le monde consentit à ce projet, on s’enferma avec les huit fouteurs, et on passa presque toute la nuit à se faire foutre et à boire des liqueurs. On fut se mettre au lit deux heures, à la pointe du jour, et le