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— Oui, dit Curval ; dites mieux, monsieur le duc : vous bandez, je vous vois d’ici, et vous voudriez tout simplement qu’elle en fût morte sur la place. — Eh bien, à la bonne heure ! dit le duc. Puisque vous le voulez comme cela, j’y consens ; moi, je ne suis pas très scrupuleux sur la mort d’une fille. — Durcet, dit alors l’évêque, si tu n’envoies pas décharger ces deux coquins-là, il y aura du tapage ce soir. — Ah ! parbleu, dit Curval à l’évêque, vous craignez bien pour votre troupeau ! Deux ou trois de plus ou de moins qu’est-ce que ça ferait ? Allons, monsieur le duc, allons dans le boudoir, et allons-y ensemble, et en compagnie, car je vois bien que ces messieurs ne veulent pas ce soir qu’on les scandalise. » Aussitôt dit aussitôt fait ; et nos deux libertins se font suivre de Zelmire, d’Augustine, de Sophie, de Colombe, de Cupidon, de Narcisse, de Zélamir et d’Adonis, escortés de Brise-cul, de Bande-au-ciel, de Thérèse, de Fanchon, de Constance et de Julie. Au bout d’un instant, on entendit deux ou trois cris de femmes, et les hurlements de nos deux scélérats qui dégorgeaient leur foutre ensemble. Augustine revint, ayant son mouchoir sur son nez, dont elle saignait, et Adélaïde un mouchoir sur le sein. Pour Julie, toujours assez libertine et assez adroite pour se tirer de tout sans danger, elle riait comme une folle, et disait que sans elle ils n’auraient jamais déchargé. La troupe revint ; Zélamir et Adonis avaient encore les fesses pleines de foutre ; et ayant assuré leurs amis qu’ils s’étaient conduits avec toute la décence et la pudeur possible, afin qu’on n’eût nul reproche à leur faire, et que maintenant, parfaitement calmes, ils étaient en état d’écouter, on ordonna à Duclos de continuer et elle le fit en ces termes :

« Je suis fâchée, dit cette belle fille, que M. de Curval se soit tant pressé de soulager ses besoins, car j’avais deux histoires de femmes grosses à lui conter qui lui auraient peut-être fait quelque plaisir. Je connais son goût pour ces sortes de femmes, et je suis sûre que s’il avait encore quelque velléité, ces deux contes-là le divertiraient. — Conte, conte toujours, dit Curval ; ne sais-tu pas bien que le foutre n’a jamais rien fait sur mes sentiments, et que l’instant où je suis le plus amoureux du mal est toujours celui où je viens d’en faire ? »

« Eh bien, dit Duclos, j’ai vu un homme dont la manie était de voir accoucher une femme. Il se branlait en la voyant dans les douleurs, et déchargeait sur la tête de l’enfant dès qu’il pouvait l’apercevoir.

« Un second campait une femme grosse de sept mois sur un piédestal isolé, à plus de quinze pieds de hauteur. Elle était obligée de s’y tenir droite et sans perdre la tête, car si malheureusement elle lui eût tourné, elle et son fruit étaient à jamais écrasés. Le libertin dont je vous parle, très peu touché de la situation de cette malheureuse, qu’il payait pour cela, l’y retenait jusqu’à ce qu’il eût déchargé, et il se branlait devant elle en s’écriant : “Ah ! la belle statue, le bel ornement, la belle impératrice !” »