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créatures. Enfin le cœur bondit et les larmes partirent : c’était pour cet instant que le libertin, qui se polluait de toutes ses forces, avait réservé le bouquet de ses litanies. Il est impossible de vous rendre toutes les horreurs qu’il lui adressa sur sa peau, sur sa taille, sur ses traits, sur l’odeur infecte qu’il prétendait qu’elle exhalait, sur sa tenue, sur son esprit : en un mot, il chercha tout, il inventa tout pour désespérer son orgueil, et déchargea sur elle, en vomissant des atrocités qu’un portefaix n’oserait prononcer. Il résulta de cette scène quelque chose de fort plaisant : c’est qu’elle valut un sermon à cette jeune fille ; elle jura qu’elle ne s’exposerait de sa vie à pareille aventure, et j’appris, huit jours après, qu’elle était dans un couvent pour le reste de ses jours. Je le dis au jeune homme, qui s’en amusa prodigieusement, et qui me demanda dans la suite quelque nouvelle conversion à faire.

« Un autre, poursuivit Duclos, m’ordonnait de lui chercher des filles extrêmement sensibles, et qui fussent dans l’attente d’une nouvelle dont la mauvaise tournure pût leur causer une révolution de chagrin des plus fortes. Ce genre me donnait à trouver beaucoup de peine, parce qu’il était difficile d’en imposer là. Notre homme était connaisseur, depuis le temps qu’il jouait au même jeu, et d’un coup d’œil il voyait si le coup qu’il portait frappait juste. Je ne le trompais donc point, et donnais toujours des jeunes filles positivement dans la disposition d’esprit qu’il désirait. Un jour, je lui en fis voir une qui attendait de Dijon des nouvelles d’un jeune homme qu’elle idolâtrait et que l’on nommait Valcourt. Je les mets aux prises. “D’où êtes-vous, mademoiselle lui demande honnêtement notre libertin. — De Dijon, monsieur. — De Dijon ? Ah ! morbleu, voilà une lettre que j’en reçois à l’instant où l’on vient de m’apprendre une nouvelle qui me désole. — Et qu’est-ce que c’est ? demande avec intérêt la jeune fille ; comme je connais toute la ville, cette nouvelle pourra peut-être m’intéresser. — Oh ! non, reprend notre homme, elle n’intéresse que moi ; c’est la nouvelle de la mort d’un jeune homme auquel je prenais le plus vif intérêt. Il venait d’épouser une fille que mon frère, qui est à Dijon, lui avait procurée, une fille dont il était très épris, et le lendemain des noces il est mort subitement. — Son nom, monsieur, s’il vous plaît — Il se nommait Valcourt ; il était de Paris, à telle rue, à telle maison… Oh ! vous ne connaissez sûrement pas cela.” Et dans l’instant la jeune fille tombe à la renverse et s’évanouit. “Ah ! foutre, dit alors notre libertin transporté, en déboutonnant sa culotte et se branlant sur elle, ah ! sacredieu, voilà où je la voulais ! Allons des fesses, des fesses ! il ne me faut que des fesses pour décharger.” Et, la retournant et la troussant, tout immobile qu’elle est, il lui lâche sept ou huit jets de foutre sur le derrière, et se sauve, sans s’inquiéter ni des suites de ce qu’il a dit, ni de ce que la malheureuse deviendra. »

« Et en creva-t-elle ? dit Curval que l’on foutait à tour de reins. — Non, dit Duclos, mais elle en fit une maladie qui lui a duré plus de six semaines. — Oh ! la bonne chose, dit le duc. Mais moi, poursuivit ce scélérat, je voudrais que votre homme eût choisi le temps de ses règles pour lui apprendre cela.