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lui faire dire des horreurs quand il était dans cet état-là. — Quoi ? répondit Curval : telle infamie que l’on voudra me proposer, dût-elle démembrer la nature et disloquer l’univers. — Viens, viens, dit Durcet qui le voyait lancer des regards furieux sur Augustine, viens, allons écouter Duclos, il en est temps ; car je suis persuadé que si on te lâchait la bride sur le col à présent, voilà une pauvre poulette qui passerait un mauvais quart d’heure. — Oh ! oui, dit Curval en feu, un très mauvais : c’est de quoi je puis fermement répondre. — Curval, dit le duc, qui bandait aussi furieusement, en venant de faire chier Rosette, que l’on nous abandonne à présent le sérail, et dans deux heures d’ici nous en rendrons bon compte. »

L’évêque et Durcet, plus calmes pour ce moment-ci, les prirent chacun par un bras, et ce fut dans cet état, c’est-à-dire la culotte basse et le vit en l’air, que ces libertins se présentèrent devant l’assemblée déjà réunie au salon d’histoire, et prête à écouter les nouveaux récits de Duclos qui, ayant prévu, à l’état de ces deux messieurs, qu’elle serait bientôt interrompue, commença toujours dans ces termes :

« Un seigneur de la cour, homme d’environ trente-cinq ans, venait de me faire demander, dit Duclos, une des plus jolies filles qu’il me fût possible de trouver. Il ne m’avait point prévenu de sa manie, et, pour le satisfaire, je lui donnai une jeune ouvrière en modes qui n’avait jamais fait de parties, et qui était sans contredit une des plus belles créatures qu’il fût possible de trouver. Je les mets aux prises, et, curieuse d’observer ce qui va se passer, je vais bien vite me camper à mon trou. “Où diable Mme Duclos, débuta-t-il par dire, a-t-elle été chercher une vilaine garce comme vous ? Dans la boue sans doute !… Vous étiez à raccrocher quelques soldats aux gardes quand on est venu vous chercher.” Et la jeune personne, honteuse, et qui n’était prévenue de rien, ne savait quelle contenance tenir. “Allons ! déshabillez-vous donc, continua le courtisan… Que vous êtes gauche !… Je n’ai de mes jours vu une putain et plus laide et plus bête… Eh bien ! allons donc, finirons-nous aujourd’hui ?… Ah ! voilà donc ce corps que l’on m’avait tant vanté ? Quels tétons… On les prendrait pour les pis d’une vieille vache !” Et il les maniait brutalement. “Et ce ventre ! comme il est ridé !… Vous avez donc fait vingt enfants ? — Pas un seul, monsieur, je vous assure. — Oh ! oui, pas un seul : voilà comme elles parlent toutes, ces garces-là ; à les entendre, elles sont toujours pucelles… Allons, tournez-vous ! L’infâme cul… quelles fesses flasques et dégoûtantes… C’est à force de coups de pieds au cul, sans doute, qu’on vous a arrangé le derrière ainsi !” Et vous observerez, s’il vous plaît, messieurs, que c’était le plus beau derrière qu’il fût possible de voir. Cependant, la jeune fille commençait à se troubler ; je distinguais presque les palpitations de son petit cœur, et je voyais ses beaux yeux se couvrir d’un nuage. Et plus elle paraissait se troubler, plus le maudit fripon la mortifiait. Il me serait impossible de vous dire toutes les sottises qu’il lui adressa ; on n’oserait pas en dire de plus piquantes à la plus vile et à la plus infâme des