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existence par ses indignes préjugés. On n’imagine point, par exemple, où celui qui érige le meurtre en crime a limité tous ses délices ; il s’est privé de cent plaisirs, plus délicieux les uns que les autres, en osant adopter la chimère odieuse de ce préjugé-là. Et que diable peut faire à la nature un, dix, vingt, cinq cents hommes de plus ou de moins dans le monde ? Les conquérants, les héros, les tyrans s’imposent-ils cette loi absurde de ne pas oser faire aux autres ce que nous ne voulons pas qui nous soit fait ? En vérité, mes amis, je ne vous le cache pas, mais je frémis quand j’entends des sots oser me dire que c’est là la loi de la nature, etc. Juste ciel ! avide de meurtres et de crimes, c’est à les faire commettre et à les inspirer que la nature met sa loi, et la seule qu’elle imprime au fond de nos cœurs est de nous satisfaire n’importe aux dépens de qui. Mais patience, j’aurai peut-être bientôt une meilleure occasion de vous entretenir amplement sur ces matières ; je les ai étudiées à fond, et j’espère, en vous les communiquant, vous convaincre comme je le suis que la seule façon de servir la nature est de suivre aveuglément ses désirs, de quelque espèce qu’ils puissent être, parce que, pour le maintien de ses lois, le vice lui étant aussi nécessaire que la vertu, elle sait nous conseiller tour à tour ce qui devient pour l’instant nécessaire à ses vues. Oui, mes amis, je vous entretiendrai un autre jour de tout cela, mais, pour l’instant, il faut que je perde du foutre, car ce diable d’homme aux exécutions de la Grève m’a tout à fait gonflé les couilles. » Et passant au boudoir du fond avec Desgranges, Fanchon, ses deux bonnes amies, parce qu’elles étaient aussi scélérates que lui, ils se firent suivre tous trois d’Aline, de Sophie, d’Hébé, d’Antinoüs et de Zéphire. Je ne sais trop ce que le libertin imagina au milieu de ces sept personnes, mais cela fut long ; on l’entendit beaucoup crier : « Allez donc, tournez donc ! mais ce n’est pas ce que je vous demande ! », et autres propos d’humeur, entremêlés de jurements auxquels on le savait fort sujet dans ces scènes de débauche ; et les femmes reparurent enfin, très rouges, très échevelées et ayant l’air d’avoir été furieusement pelotées de tous les sens. Pendant ce temps-là, le duc et ses deux amis n’avaient pas perdu leur temps, mais l’évêque était le seul qui eût déchargé, et d’une manière si extraordinaire qu’il ne nous est pas encore permis de la dire. On fut se mettre à table, où Curval philosopha encore un peu, car les passions chez lui n’influaient en rien sur les systèmes ; ferme dans ses principes, il était aussi impie, aussi athée, aussi criminel en venant de perdre du foutre que dans le feu du tempérament, et voilà comme tous les gens sages devraient être. Jamais le foutre ne doit ni dicter, ni diriger les principes ; c’est aux principes à régler la manière de le perdre. Et qu’on bande ou non, la philosophie, indépendante des passions, doit toujours être la même. L’amusement des orgies consista à une vérification dont on ne s’était pas encore avisé, et qui néanmoins était intéressante : on voulut décider qui chez les filles et qui chez les garçons avait le plus beau cul. En conséquence, on fit d’abord placer les huit garçons sur une file, droits, mais un tant soit peu courbés cependant : telle est la vraie manière de bien examiner un cul et