Page:Sade - Les 120 journées de Sodome (édition numérique).djvu/229

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— Page 229 —

garce ! Je décharge et je ne réponds pas de ta vie.” Vous croyez bien que mon premier mouvement fut de gagner au pied ; une faible lueur s’offre à moi : c’était celle du jour, introduit par la porte par laquelle j’étais entrée ; je m’y jette, je trouve le valet qui m’avait reçue, je me précipite dans ses bras, il me rend mes habits, me donne deux louis, et je décampe, très contente de m’en trouver quitte à si bon marché. »

« Vous aviez lieu de vous féliciter, dit Martaine, car ce n’était là qu’un diminutif de sa passion ordinaire. Je vous ferai voir le même homme, messieurs, continua cette maman, sous un aspect plus dangereux. — Pas aussi funeste que celui sous lequel je le présenterai à ces messieurs, dit Desgranges, et je me joins à Mme Martaine pour vous assurer que vous fûtes bien heureuse d’en être quitte pour cela, car le même homme avait d’autres passions bien plus singulières. — Attendons donc pour en raisonner que nous sachions toute son histoire, dit le duc, et presse-toi, Duclos, de nous en dire une autre, pour nous ôter de la cervelle une espèce d’individu qui ne manquerait pas de l’échauffer. »

« Celui que je vis ensuite, messieurs, poursuivit Duclos, voulait une femme qui eût une très belle gorge, et comme c’est une de mes beautés, après la lui avoir fait observer, il me préféra à toutes mes filles. Mais quel usage, et de ma gorge et de ma figure, l’insigne libertin prétendait-il donc faire ? Il m’étend sur un sofa, toute nue, se campe à cheval sur ma poitrine, place son vit entre mes deux tétons, m’ordonne de le serrer de mon mieux, et au bout d’une courte carrière, le vilain homme les inonde de foutre en me lançant de suite plus de vingt crachats très épais au visage. »

« Eh bien, dit en rognonnant Adélaïde au duc qui venait de lui cracher au nez, je ne vois pas quelle nécessité il y a d’imiter cette infamie-là ! Finirez-vous ? continuait-elle en s’essuyant, au duc qui ne déchargeait point. — Quand bon me semblera, ma belle enfant, lui dit le duc ; souvenez-vous une fois dans la vie que vous n’êtes là que pour obéir et vous laisser faire. Allons poursuis, Duclos, car je ferais peut-être pis, et comme j’adore cette belle enfant-là, dit-il en persiflant, je ne veux pas l’outrager tout à fait. »

« Je ne sais, messieurs, dit Duclos en reprenant le fil de ses récits, si vous avez entendu parler de la passion du commandeur de Saint-Elme. Il avait une maison de jeu où tous ceux qui venaient risquer leur argent étaient rudement étrillés ; mais ce qu’il y a de fort extraordinaire, c’est que le commandeur bandait à les escroquer : chaque coupe-gorge qu’il leur faisait, il déchargeait dans sa culotte, et une femme que j’ai fort connue, et qu’il avait entretenue longtemps, m’a dit que quelquefois la chose l’échauffait au point qu’il était obligé d’aller chercher avec elle quelques rafraîchissements à l’ardeur dont il était dévoré. Il ne s’en tenait pas là : toute espèce de vol avait