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temps, et il tombait sur des matelas ; l’instant après, je l’étendais sur une croix de Saint-André et faisais semblant de lui briser les membres avec une barre de carton ; je le marquais sur l’épaule avec un fer presque chaud, et qui laissait une légère empreinte ; je le fouettais sur le dos, précisément comme fait l’exécuteur des hautes œuvres, et il fallait entremêler tout cela d’invectives atroces, de reproches amers de différents crimes, desquels, pendant chacune de ces opérations il demandait en chemise, un cierge en main, bien humblement pardon à Dieu et à la Justice. Enfin, la séance se terminait sur mon derrière, où le libertin venait perdre son foutre quand sa tête était au dernier degré d’embrasement. »

« Eh ! bien, me laisses-tu décharger en paix, à présent que Duclos a fini ? dit le duc à Curval. — Non, non, dit le président ; garde ton foutre : je te dis que j’en ai besoin pour les orgies. — Oh ! je suis ton valet, dit le duc ; me prends-tu donc pour un homme usé, et t’imagines-tu qu’un peu de foutre que je vais perdre tout à l’heure m’empêchera de céder et de correspondre à toutes les infamies qui te passeront par la tête dans quatre heures d’ici ? N’aie pas peur, je serai toujours prêt ; mais il a plu à monsieur mon frère de me donner là un petit exemple d’atrocité, que je serais bien fâché de ne pas exécuter avec Adélaïde, ta chère et aimable fille. » Et la poussant aussitôt dans le cabinet avec Thérèse, Colombe et Fanny, les femmes de son quadrille, il y fit vraisemblablement ce que l’évêque avait fait à sa nièce, et déchargea avec les mêmes épisodes, car on entendit comme tout à l’heure un cri terrible de la jeune victime et le hurlement du paillard. Curval voulut décider qui des deux frères s’était le mieux conduit ; il fit approcher les deux femmes, et ayant examiné les deux derrières à l’aise, il décida que le duc n’avait imité qu’en surpassant. On fut se mettre à table, et, ayant au moyen de quelque drogue, farci de vents les entrailles de tous les sujets, hommes et femmes, on joua après souper à pète-en-gueule. Les amis étaient tous quatre couchés sur le dos, sur des canapés, la tête relevée, et l’on venait tour à tour leur péter dans la bouche ; Duclos était chargée de compter et de marquer, et comme il y avait trente-six péteurs ou péteuses contre seulement quatre avaleurs, il y en eut qui reçurent jusqu’à cent cinquante pets. C’était pour cette lubrique cérémonie que Curval voulait que le duc se réservât, mais cela était parfaitement inutile ; il était trop ami du libertinage pour qu’un excès nouveau ne lui fît pas toujours le plus grand effet, dans quelque situation qu’on vînt le lui proposer, et il n’en déchargea pas moins une seconde fois complètement aux vents moelleux de la Fanchon. Pour Curval, ce furent les pets d’Antinoüs qui lui coûtèrent du foutre, tandis que Durcet perdit le sien, excité par ceux de Martaine, et l’évêque excité par ceux de Desgranges. Mais les jeunes beautés n’obtinrent rien, tant il est vrai qu’il faut que tout se suive et qu’il faut que ce soit toujours les gens crapuleux qui exécutent les choses infâmes.