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d’Augustine. — Lequel ? dit Curval. — Ma foi, tous deux, dit le duc ; mais il faut être sage : en attendant ainsi nos plaisirs, nous les rendrons bien plus délicieux. Allons petite fille, continua-t-il, faites-moi voir vos fesses, ça fera changer peut-être la nature de mes idées… Sacredieu ! le beau cul qu’a cette petite putain-là ! Curval, que me conseilles-tu d’en faire ? — Une vinaigrette, dit Curval. — Plût à Dieu ! dit le duc. Mais patience… tu verras que tout viendra avec le temps. — Mon très cher frère, dit le prélat d’une voix coupée, vous tenez des propos qui sentent le foutre. — Eh ! vraiment, c’est que j’ai grande envie d’en perdre. — Eh ! qui vous en empêche ? dit l’évêque. — Oh ! tout plein de choses, reprit le duc. D’abord il n’y a pas de merde, et j’en voudrais ; et puis je ne sais : j’ai envie de tout plein de choses. — Et de quoi ? dit Durcet, à qui Antinoüs chiait dans la bouche. — De quoi ? dit le duc. D’une petite infamie à laquelle il faut que je me livre. » Et passant au boudoir du fond avec Augustine, Zélamir, Cupidon, Duclos, Desgranges et Hercule, on entendit au bout d’une minute des cris et des jurements qui prouvaient que le duc venait enfin de calmer et sa tête et ses couilles. On ne sait pas trop ce qu’il avait fait à Augustine, mais malgré son amour pour elle, on la vit revenir en pleurant et un de ses doigts entortillé. Nous sommes désolés de ne pouvoir pas encore expliquer tout cela, mais il est certain que ces messieurs, sous-main et avant que cela ne fût bien exactement permis, se livraient à des choses qu’on ne leur avait pas encore racontées, et en cela ils manquaient formellement aux conventions qu’ils avaient établies ; mais quand une société entière commet les mêmes fautes, elle se les pardonne assez communément. Le duc rentra, et vit avec plaisir que Durcet et l’évêque n’avaient pas perdu leur temps, et que Curval, entre les bras de Brise-cul, faisait délicieusement tout ce qu’on peut faire avec tout ce qu’il avait pu rassembler près de lui d’objets voluptueux. On servit. Les orgies à l’ordinaire ; et l’on fut se coucher. Tout éclopée qu’était Adélaïde, le duc, qui devait l’avoir cette nuit-là, la voulut, et comme il était revenu des orgies un peu ivre à son ordinaire, on dit qu’il ne la ménagea pas. Enfin la nuit se passa comme toutes les précédentes, c’est-à-dire dans le sein du délire et de la débauche ; et la blonde Aurore étant venue, comme disent les poètes, ouvrir les portes du palais d’Apollon, ce dieu, assez libertin lui-même, ne monta sur son char azuré que pour venir éclairer de nouvelles luxures.