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agissait dans un homme plus fortement que l’éducation et que les principes, que, par conséquent, en récidivant, il attestait pour ainsi dire qu’il n’était pas maître de lui-même, il fallait le punir doublement ; il voulut raisonner aussi conséquemment, avec autant d’esprit, que ses anciens condisciples, et déclara qu’en conséquence il fallait les punir, elle et sa compagne, dans toute la rigueur des ordonnances. Mais comme ces ordonnances portaient peine de mort pour un tel cas, et qu’on avait envie de s’amuser encore quelque temps de ces dames avant d’en venir là, on se contenta de les faire venir, de les faire mettre à genoux, et de leur lire l’article de l’ordonnance, en leur faisant sentir tout ce qu’elles venaient de risquer en s’exposant à un tel délit. Cela fait, on leur infligea une pénitence triple de celle qu’elles avaient endurée samedi dernier, on leur fit jurer que ça n’arriverait plus, on leur protesta que, si ça arrivait encore, on userait de toute rigueur envers elles ; et on les inscrivit sur le livre fatal. La visite de Durcet y fit placer encore trois noms de plus : deux chez les filles et un chez les garçons. C’était le résultat de la nouvelle expérience des petites indigestions ; elles réussissaient fort bien, mais il en arrivait que ces pauvres enfants, ne pouvant plus se retenir, se mettaient à tout instant dans le cas d’être punis. C’était l’histoire de Fanny, d’Hébé chez les sultanes, et d’Hyacinthe chez les garçons : ce qu’on trouva dans leur pot était énorme, et Durcet s’en amusa longtemps. On n’avait jamais tant demandé de permissions du matin, et tout le monde jurait après Duclos de ce qu’elle avait indiqué un tel secret. Malgré la multitude de permissions demandées, on n’en accorda qu’à Constance, Hercule, deux fouteurs subalternes, Augustine, Zéphire et la Desgranges. On s’en amusa un instant, et l’on se mit à table. « Tu vois, dit Durcet à Curval, le tort que tu as eu de laisser instruire ta fille de la religion ; on ne peut plus maintenant la faire renoncer à ces imbécillités-là : je te l’avais bien dit, dans le temps. — Ma foi, dit Curval, je croyais que de les connaître serait pour elle une raison de plus de les détester, et qu’avec l’âge elle se convaincrait de l’imbécillité de ces infâmes dogmes. — Ce que tu dis là est bon dans les têtes raisonnables, dit l’évêque ; mais il ne faut pas s’en flatter avec un enfant. — Nous serons obligés d’en venir à des partis violents, dit le duc, qui savait bien qu’Adélaïde l’écoutait. — On y viendra, dit Durcet. Je lui réponds d’avance que si elle n’a que moi pour avocat, elle sera mal défendue. — Oh ! je le crois, monsieur, dit Adélaïde en pleurant ; vos sentiments pour moi sont assez connus. — Des sentiments ? dit Durcet. Je commence, ma belle épouse, par vous prévenir que je n’en ai jamais eu pour aucune femme, et moins assurément pour vous qui êtes la mienne que pour toute autre. J’ai la religion en haine ainsi que tous ceux qui la pratiquent, et, de l’indifférence que j’éprouve pour vous, je vous préviens que je passerai bien promptement à la plus violente aversion, si vous continuez à révérer d’infâmes et d’exécrables chimères qui firent de tout temps l’objet de mon mépris. Il faut avoir perdu l’esprit pour admettre un Dieu, et être devenu tout à fait imbécile pour l’adorer. Je vous déclare, en un mot, devant votre père et ces messieurs, qu’il