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(XXVIII)

Vingt-quatrième journée

C’est une véritable maladie de l’âme que la dévotion ; on a beau faire, on ne s’en corrige point. Plus facile à s’imprégner dans l’âme des malheureux, parce qu’elle les console, parce qu’elle leur offre des chimères pour les consoler de leurs maux, il est bien plus difficile encore de l’extirper dans ces âmes-là que dans d’autres. C’était l’histoire d’Adélaïde : plus le tableau de la débauche et du libertinage se développait à ses yeux, plus elle se rejetait dans les bras de ce Dieu consolateur qu’elle espérait avoir un jour pour libérateur des maux où elle ne voyait que trop qu’allait l’entraîner sa malheureuse situation. Personne ne sentait mieux son état qu’elle ; son esprit lui présageait au mieux tout ce qui devait suivre le funeste commencement dont elle était déjà victime, quoique légèrement ; elle comprenait à merveille qu’à mesure que les récits deviendraient plus forts, les procédés des hommes, envers ses compagnes et elle, deviendraient aussi plus féroces. Tout cela, quelque chose qu’on pût lui dire, lui faisait tant qu’elle pouvait rechercher avec avidité la société de sa chère Sophie. Elle n’osait plus y aller la nuit ; on s’en était trop aperçu, et on s’opposait trop bien à ce que pareille incartade pût arriver désormais, mais sitôt qu’elle avait un instant, elle y volait ; et cette même matinée-ci dont nous écrivons le journal, s’étant levée de très bonne heure d’auprès de l’évêque avec qui elle avait couché, elle était venue dans la chambre des jeunes filles causer avec sa chère Sophie. Durcet qui, à cause des fonctions de son mois, se levait aussi plus matin que les autres, l’y trouva, et lui déclara qu’il ne pouvait pas s’empêcher d’en rendre compte, et que la société en déciderait comme il lui plairait. Adélaïde pleura, c’était là toutes ses armes, et se laissa faire ; la seule grâce qu’elle osa demander à son mari fut de tâcher de ne point faire punir Sophie, qui ne pouvait pas être coupable puisque c’était elle qui était venue la trouver, et non Sophie qui fût venue dans sa chambre. Durcet dit qu’il dirait le fait comme il était et qu’il n’en déguiserait rien : rien ne s’attendrit moins qu’un correcteur qui a le plus grand intérêt à la correction. C’était ici le cas ; il n’y avait rien de si joli à punir que Sophie : par quel motif Durcet l’aurait-il épargnée ? On s’assembla, et le financier rendit compte. C’était une récidive ; le président se ressouvint que, quand il était au palais, ses ingénieux confrères prétendaient que comme une récidive prouvait que la nature