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« Huit jours après le départ de Lucile, j’expédiai un paillard doué d’une assez plaisante manie. Prévenue de plusieurs jours à l’avance, j’avais laissé dans ma chaise percée accumuler un grand nombre d’étrons, et j’avais prié quelqu’une de mes demoiselles d’y en ajouter encore. Notre homme arrive, déguisé en Savoyard ; c’était le matin, il balaye ma chambre, s’empare du pot de la chaise percée, monte aux lieux pour le vider (article qui, par parenthèse, l’occupa fort longtemps) ; il revient, me fait voir avec quel soin il l’a nettoyé et me demande son payement. Mais prévenue du cérémonial, je tombe sur lui le manche à balai à la main. “Ton payement, scélérat ? lui dis je, tiens, le voilà ton payement !” Et je lui en assène au moins une douzaine de coups. Il veut fuir, je le suis, et le libertin dont c’était là l’instant décharge tout le long de l’escalier en criant à tue-tête qu’on l’estropie, qu’on le tue, et qu’il est chez une coquine, et non pas chez une honnête femme, comme il le croyait.

« Un autre voulait que je lui insinuasse dans le canal de l’urètre un petit bâton noué qu’il portait à ce dessein dans un étui ; il fallait secouer vivement le petit bâton qu’on introduisait de trois pouces, et de l’autre main lui branler le vit à tête décalottée ; à l’instant de sa décharge, on retirait le bâton, on se troussait par-devant et il déchargeait sur la motte.

« Un abbé, que je vis six mois après, voulait que je lui laissasse dégoutter de la cire de bougie brûlante sur le vit et les couilles ; il déchargeait de cette seule sensation et sans qu’on fût obligé de le toucher ; mais il ne bandait jamais, et pour que son foutre partît, il fallait que tout fût enduit de cire et qu’on n’y reconnût plus figure humaine.

« Un ami de ce dernier se faisait cribler le cul d’épingles d’or, et quand son derrière, ainsi garni, ressemblait à une casserole bien plus qu’à un fessier, il s’asseyait pour mieux sentir les piqûres ; on lui présentait les fesses très écartées, il se branlait lui-même et déchargeait sur le trou du cul. »

« Durcet, dit le duc, j’aimerais assez à voir ton beau cul grassouillet tout couvert comme cela d’épingles d’or : je suis persuadé qu’il serait on ne saurait plus intéressant. — Monsieur le duc, dit le financier, vous savez qu’il y a quarante ans que je me fais gloire et honneur de vous imiter ; ayez la bonté de me donner l’exemple et je vous réponds de le suivre. — Je renie Dieu, dit Curval, qu’on n’avait pas encore entendu, comme l’histoire de Lucile m’a fait bander ! Je me tenais coi, mais je n’en pensais pas moins : tenez, dit-il, en faisant voir son vit collé contre son ventre, voyez si je vous mens. J’ai une furieuse impatience de savoir le dénouement de l’histoire de ces trois bougresses-là ; je me flatte qu’un même tombeau doit les réunir. — Doucement, doucement, dit le duc, n’empiétons pas sur les événements. Parce que vous bandez, monsieur le président, vous voudriez qu’on vous parlât tout de suite de roue et de potence ; vous ressemblez beaucoup aux gens de votre robe, dont on prétend que le vit dresse toujours, chaque fois qu’ils condamnent à mort. — Laissons là l’état et la robe, dit Curval ; le fait est