Page:Sade - Les 120 journées de Sodome (édition numérique).djvu/192

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— Page 192 —

nous serons sur cet objet digne de ses plus sincères louanges, c’est de quoi nous pouvons presque déjà l’assurer. Enfin, quoi qu’on en puisse dire, chacun a son âme à sauver : et de quelle punition, et dans ce monde et dans l’autre, n’est pas digne celui qui, sans aucune modération, se plairait, par exemple, à divulguer tous les caprices, tous les dégoûts, toutes les horreurs secrètes auxquels les hommes sont sujets dans le feu de leur imagination. Ce serait révéler des secrets qui doivent être enfouis pour le bonheur de l’humanité ; ce serait entreprendre la corruption générale des mœurs, et précipiter ses frères en Jésus-Christ dans tous les écarts où pourraient porter de tels tableaux ; et Dieu qui voit le fond de nos cœurs, ce Dieu puissant qui a fait le ciel et la terre, et qui doit nous juger un jour, sait si nous aurions envie d’avoir à nous entendre reprocher par Lui de tels crimes !

On acheva quelques horreurs qui étaient commencées. Curval, par exemple, fit chier Desgranges ; les autres, ou la même chose avec différents sujets, ou d’autres qui ne valaient pas mieux, et l’on passa au souper. Aux orgies, Duclos, ayant entendu ces messieurs disserter sur le nouveau régime indiqué plus haut, et dont l’objet était de rendre la merde plus abondante et plus délicate, leur dit que, pour des amateurs comme eux, elle était étonnée de leur voir ignorer le véritable secret d’avoir des étrons très abondants et très délicats. Interrogée sur la façon dont on devait s’y prendre, elle dit que le seul moyen était de donner sur-le-champ une légère indigestion au sujet, non pas en lui faisant manger des choses contraires ou malsaines, mais en l’obligeant à manger précipitamment hors des heures de ses repas. L’expérience fut faite dès le même soir : on fit réveiller Fanny, dont on ne s’était pas soucié ce soir-là et qui s’était couchée après son souper, on l’obligea de manger sur-le-champ quatre très gros biscuits, et le lendemain matin elle fournit un des plus gros et des plus beaux étrons que l’on se fût encore procuré. On adopta donc ce système, avec la clause cependant de ne point donner de pain, que Duclos approuva et qui ne pouvait qu’améliorer les fruits que produirait l’autre secret. Il n’y eut pas de jour où l’on ne donnât ainsi de demi-indigestions à ces jeunes filles et à ces jolis petits garçons, et ce que l’on en obtint ne s’imagine pas. Je le dis en passant, afin que si quelque amateur veuille user de ce secret, il soit fermement persuadé qu’il n’en est pas de meilleur. Le reste de la soirée n’ayant rien produit d’extraordinaire, on fut se coucher afin de se préparer le lendemain aux noces brillantes de Colombe et de Zélamir, qui devaient former la célébration de la fête de la troisième semaine.