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« Je le crois, dit l’évêque. Quand on a décidément le goût des hommes, on ne change point ; la distance est si extrême qu’on n’est pas tenté de l’épreuve. — Monseigneur, dit le président, vous entamez là une thèse qui mériterait une dissertation de deux heures. — Et qui finirait toujours à l’avantage de mon assertion, dit l’évêque, parce qu’il est sans réplique qu’un garçon vaut mieux qu’une fille. — Sans contredit, reprit Curval, mais on pourrait pourtant vous dire qu’il y a quelques objections à ce système et que, pour les plaisirs d’une certaine sorte, tels que ceux, par exemple, dont nous parleront Martaine et Desgranges, une fille vaut mieux qu’un garçon. — Je le nie, dit l’évêque ; et même pour ceux que vous voulez dire, le garçon vaut mieux que la fille. Considérez-le du côté du mal, qui est presque toujours le véritable attrait du plaisir, le crime vous paraîtra plus grand avec un être absolument de votre espèce qu’avec un qui n’en est pas, et, de ce moment-là, la volupté est double. — Oui, dit Curval, mais ce despotisme, cet empire, ce délice, qui naît de l’abus qu’on fait de sa force sur le faible… — Il s’y trouve tout de même, répondit l’évêque. Si la victime est bien à vous, cet empire que, dans ces cas-là, vous croyez mieux établi avec une femme qu’avec un homme, ne vint que du préjugé, ne vint que de l’usage qui soumit plus ordinairement ce sexe-là à vos caprices que l’autre. Mais renoncez pour un instant à ces préjugés d’opinion, et que l’autre soit parfaitement dans vos chaînes : avec la même autorité, vous retrouvez l’idée d’un crime plus grand, et nécessairement votre lubricité doit doubler. — Moi, je pense comme l’évêque, dit Durcet, et une fois qu’il est certain que l’empire est bien établi, je crois l’abus de la force plus délicieux à exercer avec son semblable qu’avec une femme. — Messieurs, dit le duc, je voudrais bien que vous remettiez vos discussions pour l’heure des repas, et que ces heures-ci, qui sont destinées à écouter les narrations, vous ne les employassiez pas à des sophismes. — Il a dit raison, dit Curval. Allons, Duclos, reprenez. » Et l’aimable directrice des plaisirs de Cythère se renoua dans les termes suivants :

« Un vieux greffier du parlement, dit-elle, vient me rendre visite un matin, et comme il était accoutumé, du temps de la Fournier, à n’avoir affaire qu’à moi, il ne voulut pas changer sa méthode. Il s’agissait, en le branlant, de le souffleter par gradation, c’est-à-dire doucement d’abord, puis un peu plus fort à mesure que son vit prenait de la consistance, et enfin à tour de bras lorsqu’il déchargeait. J’avais si bien saisi la manie de ce personnage, qu’au vingtième soufflet je faisais partir son foutre. »

« Au vingtième ! dit l’évêque, corbleu ! il ne m’en faudrait pas tant pour me faire débander tout d’un coup. — Tu le vois, mon ami, dit le duc, chacun a sa manie ; nous ne devons jamais ni blâmer, ni nous étonner de celle de personne. Allons, Duclos, encore une et termine. »