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jamais vent de mes démarches, je me contentai de gagner soixante louis sur cette affaire, et fis passer encore vingt à mon procureur pour embrouiller les choses, de manière à ce que le père et la mère de cette jeune enfant ne pussent de longtemps savoir des nouvelles de leur fille. Ils en surent ; sa fuite était impossible à cacher. Les voisins coupables de négligence s’excusèrent comme ils purent, et quant au cher cordonnier et à son épouse, mon procureur fit si bien qu’ils ne purent jamais remédier à cet accident, car ils moururent tous deux en prison au bout de près de onze ans de capture. Je gagnais doublement à ce petit malheur, puisqu’en même temps qu’il m’assurait la possession certaine de l’enfant que j’avais vendu, il m’assurait aussi celle de soixante mille francs qui m’avaient été comptés pour lui. Quant à la petite fille, le marquis m’avait dit vrai : jamais je n’en entendis parler, et ce sera vraisemblablement Mme Desgranges qui vous finira son histoire. Il est temps de vous ramener à la mienne et aux événements journaliers qui peuvent vous offrir les détails voluptueux dont nous avons entamé la liste. »

« Oh, parbleu ! dit Curval, j’aime ta prudence à la folie. Il y a là une scélératesse réfléchie, un ordre qui me plaît on ne saurait davantage ; et la taquinerie d’ailleurs, d’avoir été donner le dernier coup à une victime que tu n’avais encore qu’accidentellement écorchée, me paraît un raffinement d’infamie qui peut se placer à côté de nos chefs-d’œuvre. — Moi, j’aurais peut-être fait pis, dit Durcet, car enfin ces gens-là pouvaient obtenir leur délivrance : il y a tant de sots dans le monde qui ne songent qu’à soulager ces gens-là : pendant tout le temps de leur vie c’était des inquiétudes pour toi. — Monsieur, reprit la Duclos, quand on n’a pas dans le monde le crédit que vous y avez et que, pour ses coquineries, il faut employer des gens en sous-ordre, la circonspection devient souvent nécessaire, et l’on n’ose pas alors tout ce que l’on voudrait bien faire. — C’est juste, c’est juste, dit le duc ; elle ne pouvait en faire davantage. » Et cette aimable créature reprit ainsi la suite de sa narration.

« Il est affreux, messieurs, dit cette belle fille, d’avoir encore à vous entretenir de turpitudes semblables à celles dont je vous parle depuis plusieurs jours. Mais vous avez exigé que je réunisse tout ce qui pouvait y avoir trait et que je ne laisse rien sous le voile. Encore trois exemples de ces saletés atroces, et nous passerons à d’autres fantaisies.

« Le premier que je vous citerai est celui d’un vieux directeur des domaines, âgé d’environ soixante-six ans. Il faisait mettre la femme toute nue, et après lui avoir caressé un instant les fesses avec plus de brutalité que de délicatesse, il l’obligeait à chier devant lui, à terre, au milieu de la chambre. Quand il avait joui de la perspective, il venait, à son tour déposer son cas à la même place, puis, les réunissant avec ses mains tous deux, il obligeait la fille à venir à quatre pattes manger la galimafrée, toujours en