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trompé les intentions d’un homme hors d’état, par sa situation, d’éprouver ni peine ni plaisir.

Le président de Curval était le doyen de la société. Âgé de près de soixante ans, et singulièrement usé par la débauche, il n’offrait presque plus qu’un squelette. Il était grand, sec, mince, des yeux creux et éteints, une bouche livide et malsaine, le menton élevé, le nez long. Couvert de poils comme un satyre, un dos plat, des fesses molles et tombantes qui ressemblaient plutôt à deux sales torchons flottant sur le haut de ses cuisses ; la peau en était tellement flétrie à force de coups de fouet qu’on la tortillait autour des doigts sans qu’il le sentît. Au milieu de cela s’offrait, sans qu’on eût la peine d’écarter, un orifice immense dont le diamètre énorme, l’odeur et la couleur le faisaient plutôt ressembler à une lunette de commodités qu’au trou d’un cul ; et pour comble d’appas, il entrait dans les petites habitudes de ce pourceau de Sodome de laisser toujours cette partie-là dans un tel état de malpropreté qu’on y voyait sans cesse autour un bourrelet de deux pouces d’épaisseur. Au bas d’un ventre aussi plissé que livide et mollasse, on apercevait, dans une forêt de poils, un outil qui, dans l’état d’érection, pouvait avoir environ huit pouces de long sur sept de pourtour ; mais cet état n’était plus que fort rare, et il fallait une furieuse suite de choses pour le déterminer. Cependant il avait encore lieu au moins deux ou trois fois de la semaine, et le président alors enfilait indistinctement tous les trous, quoique celui du derrière d’un jeune garçon lui fût infiniment plus précieux. Le président s’était fait circoncire, de manière que la tête de son vit n’était jamais recouverte, cérémonie qui facilite beaucoup la jouissance et à laquelle tous les gens voluptueux devraient se soumettre. Mais l’un de ses objets est de tenir cette partie-là plus propre : il s’en fallait beaucoup qu’il se trouvât rempli chez Curval, car aussi sale en cette partie-là que dans l’autre, cette tête décalottée, déjà naturellement fort grosse, là devenait plus ample d’au moins un pouce de circonférence. Également malpropre sur toute sa personne, le président, qui à cela joignait des goûts pour le moins aussi cochons que sa personne, devenait un personnage dont l’abord assez malodorant eût pu ne pas plaire à tout le monde : mais ses confrères n’étaient pas gens à se scandaliser pour si peu de chose, et on ne lui en parlait seulement pas. Peu d’hommes avaient été aussi lestes et aussi débauchés que le président ; mais entièrement blasé, absolument abruti, il ne lui restait plus que la dépravation et la crapule du libertinage. Il fallait plus de trois heures d’excès, et d’excès les plus infâmes, pour obtenir de lui un chatouillement voluptueux. Quant à la décharge, quoiqu’elle eût lieu chez lui bien plus souvent que l’érection et presque une fois tous les jours, elle était cependant si difficile à obtenir, ou elle n’avait lieu qu’en procédant à des choses si singulières et souvent si cruelles ou si malpropres, que les agents de ses plaisirs y renonçaient souvent, et de là naissait chez lui une sorte de colère lubrique qui quelquefois, par ses effets, réussissait mieux que ses efforts.