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souper fut pour le moins aussi libertin qu’à l’ordinaire, et les amis ayant eu fantaisie, cet après-souper-là, de se caser tout un chacun de leur côté, au lieu de s’amuser à cet instant-là tous ensemble comme ils en avaient coutume, le duc occupa le boudoir du fond avec Hercule, la Martaine, sa fille Julie, Zelmire, Hébé, Zélamir, Cupidon et Marie. Curval s’empara du salon d’histoire avec Constance, qui frémissait toujours chaque fois qu’il fallait se trouver avec lui, et qu’il était fort loin de rassurer, avec Fanchon, la Desgranges, Brise-cul, Augustine, Fanny, Narcisse et Zéphire. L’évêque passa au salon d’assemblée avec la Duclos, qui fit ce soir-là infidélité au duc pour se venger de celle qu’il lui faisait en emmenant Martaine, avec Aline, Bande-au-ciel, Thérèse, Sophie, la charmante petite Colombe, Céladon et Adonis. Pour Durcet il resta au salon à manger qu’on desservit et dans lequel on jeta des tapis et des carreaux. Il s’y enferma, dis-je, avec Adélaïde, sa chère épouse, Antinoüs, Louison, Champville, Michette, Rosette, Hyacinthe et Giton. Un redoublement de lubricité plutôt qu’aucune autre raison avait sans doute dicté cet arrangement, car les têtes s’échauffèrent tant cette soirée-là que, d’un avis unanime, personne ne se coucha, mais en revanche ce qui avait été fait de saletés et d’infamies dans chaque chambre ne s’imagine pas.

Vers la pointe du jour, on voulut se remettre à table, quoiqu’on eût beaucoup bu pendant la nuit. On s’y mit tous pêle-mêle et indistinctement, et les cuisinières que l’on réveilla envoyèrent des œufs brouillés, des chincara, du potage à l’oignon et des omelettes. On but encore, mais Constance était dans une tristesse que rien ne pouvait calmer. La haine de Curval croissait en même temps que son pauvre ventre. Elle venait d’en éprouver pendant les orgies de cette nuit-là, excepté des coups parce qu’on était convenu de laisser grossir la poire, d’en éprouver, dis-je, excepté cela, tout ce qu’on peut imaginer de mauvais procédés. Elle voulut s’en plaindre à Durcet et au duc, son père et son mari, qui l’envoyèrent au diable et lui dirent qu’il fallait bien qu’elle eût quelque défaut dont ils ne s’apercevaient pas pour déplaire ainsi au plus vertueux et au plus honnête des humains : voilà tout ce qu’elle en eut. Et l’on fut se coucher.