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l’encens que je vous ai dérobé ! Ô culs délicieux, je vous promets un sacrifice expiatoire, je fais serment sur vos autels de ne plus m’égarer de la vie. » Et ce beau derrière l’ayant un peu échauffé, le libertin plaça la novice dans une posture fort indécente sans doute, mais dans laquelle il pouvait, comme on l’a vu plus haut, faire téter son petit anchois en suçant l’anus le plus frais et le plus voluptueux. Mais Durcet, trop blasé sur ce plaisir-là, n’y retrouvait que bien rarement sa vigueur ; on eut beau le sucer, il eut beau le rendre, il fallut se retirer dans le même état de défaillance et remettre, en pestant et jurant contre la jeune fille, à quelque moment plus heureux des plaisirs que la nature lui refusait pour lors. Tout le monde n’était pas aussi malheureux. Le duc, qui avait passé dans son cabinet avec Colombe, Zélamir, Brise-cul et Thérèse, fit entendre des hurlements qui prouvaient son bonheur, et Colombe, crachotant de toute sa force en en sortant, ne laissa plus de doute sur le temple qu’il avait encensé. Pour l’évêque, tout naturellement couché sur son canapé, les fesses d’Adélaïde sur le nez et le vit dans sa bouche, il se pâmait en faisant péter la jeune femme, tandis que Curval debout, faisant emboucher son énorme trompette à Hébé, perdait son foutre en s’égarant ailleurs. On servit. Le duc voulut soutenir au souper que si le bonheur consistait dans l’entière satisfaction de tous les plaisirs des sens, il était difficile d’être plus heureux qu’ils l’étaient. « Ce propos-là n’est pas d’un libertin, dit Durcet. Et comment est-il que vous puissiez être heureux, dès que vous pouvez vous satisfaire à tout instant ? Ce n’est pas dans la jouissance que consiste le bonheur, c’est dans le désir, c’est à briser les freins qu’on oppose à ce désir. Or, tout cela se trouve-t-il ici, où je n’ai qu’à souhaiter pour avoir ? Je fais serment, dit-il, que, depuis que j’y suis, mon foutre n’a pas coulé une seule fois pour les objets qui y sont ; il ne s’est jamais répandu que pour ceux qui n’y sont pas. Et puis d’ailleurs, ajouta le financier, il manque selon moi une chose essentielle à notre bonheur : c’est le plaisir de la comparaison, plaisir qui ne peut naître que du spectacle des malheureux, et nous n’en voyons point ici. C’est de la vue de celui qui ne jouit pas de ce que j’ai et qui souffre, que naît le charme de pouvoir se dire : Je suis donc plus heureux que lui. Partout où les hommes seront égaux et où ces différences-là n’existeront pas, le bonheur n’existera jamais. C’est l’histoire d’un homme qui ne connaît bien le prix de la santé que quand il a été malade. — Dans ce cas-là, dit l’évêque, vous établiriez donc une jouissance réelle à aller contempler les larmes de ceux que la misère accable ? — Très assurément, dit Durcet, il n’y a peut-être point au monde de volupté plus sensuelle que celle dont vous parlez là. — Quoi, sans les soulager ? dit l’évêque, qui était bien aise de faire étendre Durcet sur un chapitre si fort du goût de tous et qu’on le connaissait si capable de traiter à fond. — Qu’appelez-vous soulager ? dit Durcet. Mais la volupté qui naît pour moi de cette douce comparaison de leur état au mien n’existerait plus si je les soulageais, car alors, les sortant de leur état de misère, je leur ferais goûter un instant de bonheur qui, les assimilant à moi, ôterait toute jouissance de comparaison.