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« Un libertin, bien autrement vieux et bien autrement dégoûtant que celui que je viens de citer, vint me donner la seconde représentation de cette manie. Il me fit coucher toute nue sur un lit, s’étendit à contre-sens sur moi, mit son vit dans ma bouche et sa langue dans mon con, et, dans cette attitude, il exigea que je lui rendisse les titillations de volupté qu’il prétendait que devait me procurer sa langue. Je suçai de mon mieux. C’était mon pucelage pour lui ; il lécha, barbota et travailla sans doute dans toutes ses manœuvres infiniment plus pour lui que pour moi. Quoi qu’il en soit, je restai nulle, bien heureuse de n’être pas horriblement dégoûtée, et le libertin déchargea ; opération que d’après la prière de la Fournier, qui m’avait prévenue de tout, opération, dis-je, que je lui fis faire le plus lubriquement possible, en serrant mes lèvres, en suçant, en exprimant de mon mieux dans ma bouche le jus qu’il exhalait et en passant ma main sur ses fesses pour lui chatouiller l’anus, épisode qu’il m’indiquait de faire, en le remplissant de son côté du mieux qu’il lui était possible… L’affaire faite, notre homme décampa en assurant la Fournier qu’on ne lui avait point encore fourni de fille qui sût mieux le contenter que moi.

« Peu après cette aventure, curieuse de savoir ce que venait faire au logis une vieille sorcière âgée de plus de soixante-dix ans et qui avait l’air d’attendre pratique, on me dit qu’effectivement elle allait en faire une. Excessivement curieuse de voir à quoi l’on allait faire servir une telle emplâtre, je demandai à mes compagnes s’il n’y avait pas chez elles une chambre d’où l’on pût voir, ainsi que de chez la Guérin. L’une, m’ayant répondu que oui, m’y mena, et comme il y avait de la place pour deux, nous nous y plaçâmes, et voici ce que nous vîmes et ce que nous entendîmes, car les deux chambres n’étant séparées que par une cloison, il était très aisé de ne pas perdre un mot. La vieille arriva la première et s’étant regardée au miroir, elle s’ajusta, sans doute comme si elle eût cru que ses charmes allaient encore avoir quelque succès. À quelques minutes de là nous vîmes arriver le Daphnis de cette nouvelle Chloé. Celui-ci avait tout au plus soixante ans ; c’était un payeur des rentes, homme très à son aise et qui aimait mieux dépenser son argent avec des salopes de rebut comme celle-là qu’avec de jolies filles, et cela par cette singularité de goût que vous comprenez, dites-vous, messieurs, et que vous expliquez si bien. Il s’avance, toise sa dulcinée qui lui fait une profonde révérence. “Pas tant de façons, vieille garce, lui dit le paillard, et mets-toi nue… Mais voyons d’abord, as-tu des dents ? — Non, monsieur, il ne m’en reste pas une seule, dit la vieille en ouvrant sa bouche infecte… regardez plutôt.” Alors notre homme s’approche et, saisissant sa tête, il lui colle sur les lèvres un des plus ardents baisers que j’aie vu donner de ma vie ; non seulement il baisait, mais il suçait, mais il dévorait, il dardait amoureusement sa langue au plus profond du gosier putréfié, et la bonne vieille, qui de longtemps ne s’était trouvée à pareille fête, le lui rendait avec une tendresse… qu’il me serait difficile de vous peindre.