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tromper, reprit Desgranges, mais reprends ton récit ; ces éclaircissements pourraient ennuyer ces messieurs, et cette anecdote-là me regarde, je leur en rendrai bon compte. — Grâce de l’attendrissement, Duclos, lui dit sèchement le duc en voyant qu’elle avait peine à retenir quelques larmes involontaires, nous ne connaissons pas ces regrets-là ici, et toute la nature s’écroulerait que nous n’en pousserions pas un soupir. Laissez les pleurs aux imbéciles et aux enfants, et qu’ils ne souillent jamais les joues d’une femme raisonnable et que nous estimons. À ces mots notre héroïne se contint et reprit aussitôt son récit.

« En raison des deux causes que je viens d’expliquer, je pris donc mon parti, messieurs, et la Fournier m’offrant un meilleur logement, une table bien autrement servie, des parties bien plus chères quoique plus pénibles, mais toujours un partage égal et sans aucune retenue, je me déterminai sur-le-champ. Mme Fournier occupait une maison tout entière, et cinq jeunes et jolies filles composaient son sérail ; je fus la sixième. Vous trouverez bon que je fasse ici comme chez Mme Guérin, c’est-à-dire que je ne vous peigne mes compagnes qu’à mesure qu’elles joueront un personnage. Dès le lendemain de mon arrivée on me donna de l’occupation, car les pratiques allaient grand train chez la Fournier, et nous en faisions souvent cinq ou six par jour chacune. Mais je ne vous parlerai, ainsi que je l’ai fait jusqu’à présent, que de celles qui peuvent exciter votre attention par leur piquant ou leur singularité.

« Le premier homme que je vis dans mon nouveau séjour fut un payeur des rentes, homme d’environ cinquante ans. Il me fit mettre à genoux, la tête penchée sur le lit, et s’établissant sur le lit également, à genoux au-dessus de moi, il se branla le vit dans ma bouche, en m’ordonnant de la tenir très ouverte. Je n’en perdis pas une goutte, et le paillard s’amusa prodigieusement des contorsions et des efforts pour vomir que me fit faire ce dégoûtant gargarisme.

« Vous voudrez, messieurs, continua la Duclos, que je place tout de suite, quoique arrivées à des temps différents, les quatre aventures de ce même genre que j’eus encore chez Mme Fournier. Ces récits, je le sais, ne déplairont point à M. Durcet, et il me saura gré de l’entretenir, le reste de la soirée, d’un goût qu’il aime et qui m’a procuré l’honneur de le connaître pour la première fois. »

« Quoi, dit Durcet, tu vas me faire jouer un rôle dans ton histoire ? — Si vous le trouvez bon, monsieur, répondit la Duclos, en observant seulement d’avertir ces messieurs quand j’en serai à votre article. — Et ma pudeur… Quoi ! devant toutes les jeunes filles, tu vas comme cela dévoiler toutes mes turpitudes ? Et chacun ayant ri de la crainte plaisante du financier, Duclos reprit ainsi :