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petit indiscret va nous dire tout ce qu’il a fait, sans réfléchir combien il est affreux de se vanter ainsi des faveurs qu’on reçoit d’une jolie femme. » Et la Duclos, obéissant, reprit ainsi son histoire :

« Puisque ces messieurs aiment tant ces drôleries-là, dit notre historienne, je suis fâchée qu’ils n’aient pas encore un instant retenu leur enthousiasme, et l’effet en eût été mieux placé, ce me semble, après ce que j’ai encore à vous conter ce soir. Ce que M. le président a prétendu qu’il manquait pour perfectionner la passion que je viens de conter se retrouvait mot à mot dans celle qui suivait. Je suis fâchée qu’il ne m’ait pas donné le temps d’achever. Le vieux président de Saclanges offre mot à mot les singularités que M. de Curval paraissait désirer. On avait choisi, pour lui tenir tête, la doyenne de notre chapitre. C’était une grosse et grande fille d’environ trente-six ans, bourgeonnée, ivrognesse, jureuse et le ton poissard, et harengère, quoique d’ailleurs assez jolie. Le président arrive ; on leur sert à souper ; tous deux se saoulent, tous deux se mettent hors de raison, tous deux vomissent dans la bouche l’un de l’autre, tous deux avalent et se rendent mutuellement ce qu’ils se prêtent. Ils tombent enfin dans les débris du souper, dans les saletés dont ils viennent d’arroser le parquet. Alors on me détache, car ma camarade n’avait plus ni connaissance ni force. C’était pourtant le moment important du libertin. Je le trouve à terre, son vit droit et dur comme une barre de fer ; j’empoigne l’instrument, le président balbutie et jure, il m’attire à lui, il suce ma bouche et décharge comme un taureau en se tournant et se retournant et continuant de se vautrer dans ses ordures.

« Cette même fille nous donna peu après le spectacle d’une fantaisie pour le moins aussi sale. Un gros moine, qui la payait fort bien, vint se placer à cheval sur son ventre ; les cuisses de ma compagne étaient dans le plus grand écartement possible, et fixées à de gros meubles pour qu’elles ne pussent varier. Dans cette attitude, on servit plusieurs mets sur le bas-ventre de la fille, à cru et sans qu’ils fussent dans aucun plat. Le bonhomme saisit des morceaux avec sa main, les enfonce dans le con ouvert de sa dulcinée, les y tourne et retourne et ne les mange qu’après qu’il les a complètement imprégnés des sels que le vagin lui procure. »

« Voilà une manière de dîner tout à fait nouvelle, dit l’évêque. — Et qui ne vous plairait point, n’est-ce pas, monseigneur ? dit Duclos. — Non ! ventredieu, répondit le serviteur de l’église ; je n’aime pas assez le con pour cela. — Eh bien ! reprit notre historienne, écoutez donc celle par où je vais clore mes narrations de cette soirée. Je suis persuadée qu’elle vous amusera davantage.

« Il y avait huit ans que j’étais chez Mme Guérin. Je venais d’y prendre ma dix-septième année, et depuis cet intervalle je n’avais pas été un seul jour sans y voir régulièrement venir tous les matins un certain fermier général pour lequel on avait de grands égards. C’était un homme pour lors