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trois grains d’émétique dans un verre d’eau chaude. Le paillard arrive ; c’était un suppôt de bordel que j’avais déjà vu bien des fois chez nous, sans trop m’occuper de ce qu’il y venait faire. Il m’embrasse, enfonce une langue sale et dégoûtante dans ma bouche, qui achève de déterminer par sa puanteur l’effet du vomitif. Il voit que mon estomac se soulève, il est dans l’extase : “Courage, ma petite, s’écriait-il ; courage ! Je n’en perdrai pas une goutte.” Prévenue de tout ce qu’il y avait à faire, je l’assois sur un canapé, je penche sa tête sur un des bords. Ses cuisses étaient écartées ; je déboutonne sa culotte, j’en saisis un instrument court et mollasse qui ne m’annonce aucune érection, je secoue, il ouvre la bouche. Tout en branlant, tout en recevant les attouchements de ses mains impudiques qui se promènent sur mes fesses, je lui lance à brûle-pourpoint dans la bouche toute la digestion imparfaite d’un dîner que faisait dégorger l’émétique. Notre homme est aux nues, il s’extasie, il avale, il va chercher lui-même sur mes lèvres l’impure éjaculation qui l’enivre, il n’en perd pas une goutte, et lorsqu’il croit que l’opération va cesser, il en provoque le retour par des chatouillements de sa langue ; et son vit, ce vit qu’à peine je touche, tant je suis accablée de ma crise, ce vit qui ne s’échauffe sans doute qu’à de telles infamies, s’enfle, se dresse de lui-même et laisse en pleurant sous mes doigts la preuve non suspecte des impressions que cette saleté lui procure. »

« Ah ! sacredieu, dit Curval, voilà une délicieuse passion, mais on pourrait encore la raffiner. — Et comment ? dit Durcet d’une voix entrecoupée par les soupirs de la lubricité. — Comment, dit Curval, eh ! sacredieu, par le choix de la fille et des mets. — De la fille… Ah ! j’entends, tu voudrais là une Fanchon. — Eh ! sans doute. — Et les mets ? continua Durcet qu’Adélaïde branlait. — Les mets ? reprit le président, eh ! double dieu, en la forçant de me rendre ce que je viendrais de lui communiquer de la même manière. — C’est-à-dire, reprit le financier dont la tête commençait à s’égarer tout à fait, que tu lui dégueulerais dans la bouche, qu’il faudrait qu’elle avalât et qu’elle te le rendît ? — Précisément. » Et tous deux se jetant dans leur cabinet, le président avec Fanchon, Augustine et Zélamir, Durcet avec la Desgranges, Rosette et Bande-au-ciel, on fut obligé d’attendre près d’une demi-heure pour continuer les récits de Duclos. Ils reparurent enfin. « Tu viens de faire des saletés, dit le duc à Curval qui rentra le premier. — Quelques-unes, dit le président, c’est le bonheur de la vie, et, pour moi, je n’estime la volupté qu’en ce qu’elle a de plus sale et de plus dégoûtant. — Mais au moins, y a-t-il eu du foutre de répandu ? — Pas un mot, dit le président, crois-tu donc qu’on te ressemble et qu’on ait comme toi du foutre à perdre à toutes les minutes ? Je laisse ces efforts-là à toi et à des champions vigoureux comme Durcet, continua-t-il en le voyant rentrer, pouvant à peine se soutenir d’épuisement. — C’est vrai, dit le financier, je n’y ai pas tenu. Cette Desgranges est si sale et dans ses propos et dans sa tenue, elle a une facilité si grande à tout ce qu’on veut… — Allons, Duclos, dit le duc, reprenez, car si nous ne lui coupons point la parole, le