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intéressante quand elle emprunte, pour plaire, le sexe qu’on voudrait qu’elle eût. Ce jour-là, chacun avait sa femme sur le canapé ; on se loue réciproquement d’un ordre aussi religieux, et tout le monde étant prêt d’entendre, Duclos reprit, comme on va le voir, la suite de ses lubriques histoires.

« Il y avait chez Mme Guérin une fille d’environ trente ans, blonde, un peu replète, mais singulièrement blanche et fraîche. On la nommait Aurore ; elle avait la bouche charmante, les dents belles et la langue voluptueuse, mais qui le croirait, soit défaut d’éducation, soit faiblesse d’estomac, cette bouche adorable avait le défaut de laisser échapper à tout instant une quantité prodigieuse de vents ; et quand elle avait beaucoup mangé surtout, il y en avait quelquefois pour une heure à ne cesser de faire des rots qui eussent fait tourner un moulin. On a raison de le dire, il n’y a pas de défaut qui ne trouve un sectateur, et cette belle fille, en raison même de celui-ci, en avait un des plus ardents. C’était un sage et sérieux docteur de Sorbonne qui, las de prouver en pure perte l’existence de Dieu dans l’école, venait quelquefois se convaincre au bordel de celle de la créature. Il prévenait, et ce jour-là Aurore mangeait comme une crevée. Curieuse de ce dévot tête-à-tête, je vole au trou, et mes amants réunis, après quelques caresses préliminaires, toutes dirigées sur la bouche, je vois notre rhéteur poser délicatement sa chère compagne sur une chaise, s’asseoir vis-à-vis d’elle, et lui remettant ses reliques entre les mains, dans l’état le plus déplorable : “Agissez, lui dit-il, ma belle petite, agissez : vous connaissez les moyens de me sortir de cet état de langueur ; prenez-les vite, je vous conjure, car je me sens pressé de jouir”. Aurore, d’une main, reçoit l’outil mollasse du docteur, de l’autre elle lui saisit la tête, colle sa bouche sur la sienne, et la voilà à lui dégorger dans la mâchoire une soixantaine de rots l’un sur l’autre. Rien ne peut peindre l’extase du serviteur de Dieu. Il était aux nues, il respirait, il avalait tout ce qu’on lui lançait, on eût dit qu’il eût été désolé d’en perdre le plus léger souffle, et, pendant ce temps-là, ses mains s’égaraient sur le sein et sous les cotillons de ma compagne. Mais ces attouchements n’étaient qu’épisodiques ; l’objet unique et capital était cette bouche qui l’accablait de soupirs. Enfin son vit, gonflé par les chatouillements voluptueux que cette cérémonie lui fait éprouver, décharge enfin dans la main de ma compagne, et il se sauve en protestant qu’il n’a jamais eu tant de plaisir.

« Un homme plus extraordinaire exigea de moi, quelque temps après, une particularité qui ne mérite pas d’être passée sous silence. La Guérin m’avait fait, ce jour-là, manger presque par force, aussi copieusement que j’avais vu quelques jours auparavant dîner ma compagne. Elle avait eu soin de me faire servir tout ce qu’elle savait que j’aimais le mieux dans le monde, et m’ayant prévenue en sortant de table, de tout ce qu’il y avait à faire avec le vieux libertin avec lequel elle allait m’unir, elle me fit avaler sur-le-champ