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et il les entremêlait le plus énergiquement de blasphèmes et d’imprécations fournis par le véritable horreur qu’il avait à l’exemple de ses confrères pour tout ce qui était du ressort de la religion. Ce désordre d’esprit encore augmenté par l’ivresse presque continuelle dans laquelle il aimait à se tenir lui donnait depuis quelqu’années un air d’imbécilité et d’abrutissement qui faisait, prétendait-il, ses plus chéris délices. Né aussi gourmand qu’ivrogne lui seul était en état de tenir tête au duc, et nous le verrons dans le cours de cette histoire faire des prouesses en ce genre qui étonneront, sans doute, nos plus célèbres mangeurs. Depuis 10 ans22) Curval n’exerçait plus ses charges, non seulement il n’en était plus en état, mais crois même que quand il l’aurait pu, on l’aurait prié de s’en dispenser toute de vie. Curval avait mené une vie fort libertine. Toutes les espèces d’écart lui étaient familières et ceux qui le connaissaient particulièrement le soupçonnaient fort de n’avoir jamais dû, qu’à deux ou trois meurtres exécrables la fortune immense dont il jouissait. Quoiqu’il en soit il est très vraisemblable à l’histoire suivante, que cette espèce d’excès avait l’art de l’émouvoir puissamment et c’est à cette aventure qui malheureusement eut un peu d’éclat qu’il dut son exclusion de la cour. Nous allons la rapporter pour donner au lecteur une idée de son caractère. — Curval avait dans le voisinage de son hôtel un malheureux porte-faix qui, père d’une petite fille charmante, avait le ridicule d’avoir du sentiment. Déjà vingt fois des messagers de toutes les façons étaient venus essayer de corrompre le malheureux et sa femme par des propositions relatives à la jeune fille sans pouvoir venir