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laisserais dans l’état où la nature les a mis, mais j’aiderais même ses vues, en leur prolonguant cet état et en m’opposant vivement à ce qu’il en change et je croirais sur cela tout les moyens permis.“ — „Quoi,“ dit le duc, „même de les voler ou de les ruiner ?“ — „Assurément,“ dit le financier, „même d’en augmenter le nombre, puisque leur classe sert à une autre et qu’en les multipliant, si je fais un peu de peine à l’une, je ferais beaucoup de bien à l’autre.“ — „Voilà un système bien dur, mon ami,“ dit Curval, „il est pourtant, dit-on, si doux de faire de bien aux malheureux.“ — „Alors,“ reprit Durcet, „cette jouissance ne tient pas contre l’autre, la première est chimérique, l’autre est réelle, la première tient aux préjugés, l’autre est fondée sur la raison, l’une par l’organe de l’orgueil, le plus faux de toutes nos sensations, peut chatouiller un instant le cœur, l’autre est la véritable jouissance de l’esprit et qui enflamme toute la passion par cela même, qu’elle contrarie les opinions communes, en un mot : je bande à l’une,“ dit Durcet, „et je sens très peu de choses à l’autre !“ — „Mais faut-il toujours tout rapporter à ses sens ?“ dit l’évêque. — „Tout, mon ami,“ dit Durcet, „ce sont eux seuls, qui doivent nous guider dans toutes les actions de la vie, parce que ce sont eux seuls, dont l’organe est vraiment impérieux.“ — „Mais mille et mille crimes peuvent naître de ce système,“ dit l’évêque. — „Eh, que m’importent les crimes ?“ dit Durcet, „pourvu que je me délecte ; le crime est un mode de la nature, une manière dont elle meut l’homme, pourquoi ne voulez-vous pas, que je me laisse mouvoir aussi bien par elle en ce sens-là que par celui de la vertu, elle a besoin de l’un