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j’ai et qui souffre, que naît le charme de pouvoir se dire „je suis donc plus heureux que lui.“ Partout où les hommes seront égaux, et où ces différences-là n’existeront pas, le bonheur n’existera jamais, c’est l’histoire d’un homme qui ne connaît bien le prix de la santé que quand il a été malade.“ — „Dans ce cas-là,“ dit l’évêque, „vous établiriez donc une jouissance réelle à aller contempler les larmes de ceux que la misère accable ?“ — „Très assurément,“ dit Durcet, „il n’y a peut-être point au monde de volupté plus sensuelle, que celle dont vous parlez-là.“ — „Quoi, sans les soulager ?“ dit l’évêque, qui était bien aise de faire entendre Durcet, sur un chapitre si fort du goût de tous et qu’on le connaissait si capable de traiter au fond. — „Qu’appelez vous soulager,“ dit Durcet, „mais la volupté qui naît pour moi de cette douce comparaison de leur état au mien n’existerait plus, si je les soulageais, car alors, les sortant de leur état de misère je leur ferais goûter un instant du bonheur qui les assimilant à moi, ôterait toute jouissance de comparaison.“ „Eh bien, d’après cela,“ dit le duc, „il faudrait en quelque façon, pour mieux établir cette différence essentielle au bonheur, il faudrait, dis-je, aggraver leur situation ?“ — „Cela n’est pas douteux,“ dit Durcet, „et voilà qui explique les infamies qu’on m’a reprochées sur cela toute ma vie. Ces gens, qui ne connaissaient pas mes motifs, m’appelaient dur, féroce et barbare, mais me moquant de toutes les dénominations, j’allais mon train, je faisais [j’en conviens] ce que les sots appellent des atrocités, mais j’établissais des jouissances, des comparaisons délicieuses, et j’étais heureux.“ — „Avoue le fait,“