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lions de victimes. Or, si le plaisir que vous attendez de leur perte, devient une des plus voluptueuses sensations que vous puissiez faire éprouver à votre ame, je vous demande si vous devez même balancer un instant[1].

  1. On peut éclaircir cette idée, en disant que le bon diner peut causer une volupté physique, et que de sauver les trois millions de victimes, même sur une ame honnête ne causerait qu’une volupté morale, ce qui établit une grande différence entre ces deux plaisirs ; car les voluptés de l’esprit ne sont que des jouissances intellectuelles, uniquement dépendantes de l’opinion, tellement, qu’une ame vicieuse ne sent point celles de la vertu ; au lieu que les voluptés du corps sont des sensations physiques, absolument dégagées de l’opinion, également senties de tous les êtres et même des animaux ; moyennant quoi la vie sauvée à ces trois millions d’hommes ne serait qu’un plaisir d’opinion, et qu’une seule espèce d’êtres ressentirait ; au lieu que le bon diner serait un plaisir senti de tout le monde, et par conséquent très-supérieur ; d’où il résulte qu’il n’y aurait pas à balancer même entre une dragée et l’univers entier. Ce raisonnement sert à démontrer les avantages immenses du vice sur la vertu.