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les moyens de mettre à-la-fois en circulation mes heureux talens et mes goûts.

Tels étaient mes projets, lorsqu’un de mes émissaires m’amena un jour une fille de dix-huit à vingt ans, de la plus délicieuse figure qu’il fut possible de voir, et sage, m’assura--t-on, comme Minerve elle-même ; l’extrême misère dans laquelle elle se trouvait la déterminait seule à cette affreuse démarche, et l’on me suppliait de la placer, si je le pouvais, sans abuser de sa détresse. Cette jeune fille n’eut-elle pas été belle comme le jour, il suffisait de l’état dans lequel on me la présentait pour m’échauffer la tête. M’en divertir et l’excroquer fut la première rouerie que mon imagination me suggéra ; et ce fut pour accomplir ce pieux projet que j’ordonnai à mon homme de se retirer, après avoir fait entrer sa proie dans mon boudoir. Frappé des traits de cette fille, il me devint impossible de pouvoir rien entreprendre, avant que de l’avoir interrogée sur sa naissance. Hélas ! monsieur, répondit-elle, je suis née à Lyon, ma mère s’appelait Henriette ; on me nomme Hélène. Victime de la scélératesse d’un frère qui avait abusé d’elle, ma malheureuse mère périt, dit-on, sur l’échafaud. Je suis le fruit de cet