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aussi voluptueusement mon estomac et ma tête ; et les vapeurs de ces mets savoureux qui viennent caresser le cerveau, le préparent si bien à recevoir les impressions de la luxure, que, comme le dit mon neveu, il est difficile à un vrai paillard de ne pas adorer la table. J’ai desiré souvent, je l’avoue, d’imiter les débauches d’Appicius, ce gourmand si célèbre de Rome, qui faisait jeter des esclaves vivans dans ses viviers, pour rendre la chair de ses poissons plus délicate. Cruel dans mes luxures, je le serais tout de même dans ces débauches-là ; et je sacrifierais mille individus, si cela était nécessaire pour manger un plat plus appétissant ou plus recherché. Je ne m’étonne pas que les Romains aient fait un dieu de la gourmandise. Vivent à Jamais les peuples qui divinisent ainsi leurs passions ! Quelle différence des sots sectateurs de Jésus à ceux de Jupiter ! les premiers ont l’absurdité de faire un crime de l’action révérée par les autres. — On prétend que Cléopâtre, dit d’Esterval, l’une des femmes les plus gourmandes de l’antiquité, avait pour coutume de ne jamais se mettre à table, sans avoir pris plusieurs lavemens. — Néron imitait aussi cette coutume, reprit Gernande ; j’en use quelquefois, et je m’en trouve bien.