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mes, nous élève infailliblement au-dessus d’eux ; c’est l’action qui nous rend les maîtres de la vie et de la fortune des autres, et qui, d’après cela, ajoute à la portion du bonheur dont nous jouissons celle de l’être sacrifié. Me dira-t-on qu’aussi-tôt que c’est aux dépens d’autrui, ce bonheur usurpé ne saurait être parfait ? Imbécilles !… et c’est précisément parce qu’il s’usurpe, qu’il est tel ; il n’aurait plus de charmes s’il était donné ; il faut le ravir, l’arracher ; il faut qu’il coûte des pleurs à celui que l’on en prive ; et c’est de la certitude de cette douleur occasionnée aux autres que naissent les plus doux plaisirs. — Mais, madame, il y a de la scélératesse à cela. Point du tout ; il n’y a que le desir très-simple et très-naturel de vouloir rapprocher de soi la plus grande dose de bonheur imaginable, — J’y consens, pourvu que ce ne soit pas aux dépens des autres. — Mais je jouirai mal, quand je croirai les autres aussi fortunés que moi ; il faut, pour la perfection de ma félicité, que je puisse me croire seule heureuse au monde… heureuse quand tout le monde souffre ; il n’y a point d’être délicatement organisé qui ne sente combien il est doux d’être privilégié, Du moment que