Page:Sade - La nouvelle Justine, ou les malheurs de la vertu, suivie de L'histoire de Juliette, sa soeur, tome 1, 1797.djvu/318

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’ils pratiquent la vertu ; par l’obligation de la pratiquer à mon tour, je fais un million de sacrifices qui ne me dédommagent nullement ; recevant moins que je ne donne, je fais donc un mauvais marché ; j’éprouve beaucoup plus de mal des privations que j’endure pour être vertueux, que je ne reçois de bien de ceux qui le sont. Le pacte n’étant point égal, je ne dois donc pas m’y soumettre ; et sûr, étant vertueux, de ne pas faire aux autres autant de bien que je recevrai de peine, en me contraignant à l’être, ne vaudra-t-il donc pas mieux que je renonce à leur procurer un bonheur qui doit me coûter autant de mal : reste maintenant le tort que je peux taire aux autres étant vicieux, et le mal que je recevrai à mon tour, si tout le monde me ressemble. En admettant une entière circulation de vices, je risque assurément, j’en conviens ; mais le chagrin éprouvé par ce que je risque, est compensé par le plaisir de ce que je fais risquer aux autres. Dès-lors, tout le monde est à-peu-près également heureux, ce qui n’est pas, et ce qui ne saurait être, dans une société, où les uns sont bons et les autres méchans, parce qu’il résulte de ce mélange des pièges perpétuels, qui n’existent point