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bases religieuses, ils ne peuvent concevoir un état au-delà des plans de leur divinité, tandis qu’il n’est point de divinité, et que ce monstre de l’imagination échauffée des hommes ne peut jamais entrer pour rien dans les calculs de la philosophie. Mais une chose bien singulière, c’est que les freins que l’homme oppose au libertinage ne sont que les aiguillons du libertinage même ; la pudeur, le premier de ces freins, n’est-elle pas un des stimulans les plus actifs de cette passion ? elle est essentielle à la luxure ; on est fâché qu’un autre sache nos fantaisies ; il semble qu’elles ne devraient être entendues que de nous, et que tout ce qui n’est pas nous ne devrait pas avoir l’esprit de les comprendre. Tel fut le premier motif qui fit jeter des gazes sur les actions impures ; on ne voulut pas faire devant tout le monde ce qu’il ne paraissait pas que tout le monde dût savoir ; mais le rideau ne fut tiré que pour redoubler ses excès. Ne doutons pas qu’il n’y eût moins de libertins, si le cinisme était à la mode ; on ne se cache, que parce qu’on veut sortir de la règle ordinaire, et le premier qui, dans l’enfance des sociétés, fit passer sa maîtresse derrière un buisson, fut le plus libertin de la peuplade.