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immole donc sans pitié, cet individu auquel il s’imagine à tort devoir autant d’obligation, qu’il déchire, sans aucun égard, ce sein qui l’a nourri ; il ne fera pas un mal plus grand, que celui qu’il commettrait avec une autre créature, et plus léger, sans doute, s’il n’a pas avec cette autre créature, autant de raison de haine et d’éloignement qu’avec celle-ci. Les animaux marchandent-ils autant les êtres dont ils tiennent la vie ? Ils en jouissent, ils les immolent, et la nature ne dit mot ; mesurez tous les autres prétendus devoirs de l’homme à celui-là ; toisez-les tous à ces réflexions, et prononcez ensuite sur vos prétendus devoirs, envers votre père, votre femme, votre époux, vos enfans, etc. ; une fois bien pénétré de cette philosophie, vous verrez que vous êtes seul dans l’Univers, que tous les liens chimériques que vous vous êtes forgé, sont l’ouvrage des hommes, qui, naturellement nés faibles, cherchent à s’étayer de ces liens ; un fils croit avoir besoin de son père, le père, à son tour, s’imagine avoir besoin de son fils ; voilà le ciment de ces prétendus liens… de ces devoirs sacrés ; mais, je défie qu’on les trouve dans la nature ; laisse donc là tes préjugés, Justine, et sers-moi, ta fortune est faite.