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la seule obligation de vivre en société les modifie. Mais cette nécessité où la civilisation nous met de nous contraindre, n’érige pas cette contrainte en vertu ; elle n’empêche pas que la volupté la plus grande pour l’homme existe à en franchir toutes les loix. N’est-ce pas une ridiculité, je le demande, que d’oser dire qu’il faut aimer les autres hommes comme soi-même ? et ne reconnaît-on pas, à l’absurdité de ce commerce, toute la faiblesse d’un législateur fourbe et pauvre ? Eh ! que m’importe à moi le sort de mes semblables, pourvu que je me délecte ? en quoi tiens-je à cet individu, si ce n’est par les formes ? Or, je vous prie de me dire s’il faut que j’aime un être seulement parce qu’il existe, ou qu’il me ressemble, et que, sous ces uniques rapports, je le préfère subitement à moi. Si c’est-là ce que vous appeliez de la morale, en vérité, Justine, votre morale est bien ridicule ; et ce que je puis faire de mieux, est, en l’assimilant à votre religion absurde, de la mépriser également. Il n’est aucun motif qui puisse engager raisonnablement un homme à contraindre ses goûts, ses habitudes ou ses penchans, pour plaire à un autre homme : je le répète, s’il le fait, c’est par faiblesse ou par