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LA MARQUISE DE GANGE

reconnaître en moi la cause d’un changement qui me désespère ? — Je n’ai rien aperçu, ma chère amie, répondit madame de Roquefeuille ; mais, en comptant sur l’égalité des sentiments d’un époux, permettez-moi de vous dire que vous avez mal connu les hommes : leur injustice est affreuse envers nous ; plus nous les laissons lire dans nos cœurs les sentiments qui nous affectent, plus ils se croient dispensés d’y répondre ; il faudrait, pour ainsi dire, les aimer beaucoup moins pour en être aimée davantage ; une froideur mortelle semble les dédommager des frais qu’ils faisaient autrefois pour nous plaire, et, comme ils n’ont plus rien à souhaiter, ils s’étonnent de nous voir désirer encore ; douées d’organes plus sensibles, notre délicatesse les surprend ; peu à peu les liens se relâchent, et ils ont encore l’injustice de se plaindre des torts où leur inconséquence nous plonge. Évitez-les, ces torts, chère amie, laissez-lui porter seul le poids des remords : ce n’est jamais qu’ainsi qu’une honnête femme se venge. Votre persévérance, votre excellente conduite le ramèneront peut-être ; et s’il continue d’être injuste, vous n’aurez pas du moins à vous reprocher d’avoir légitimé ses torts. — Mais, dit madame de Gange, vous ne lui supposez aucun attachement qui puisse être cause de cette tiédeur ? — Aucun : témoin comme vous de sa conduite journalière, depuis que nous habitons