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LA MARQUISE DE GANGE

bonheur peut donc exister maintenant pour moi sur la terre ? je le pleurerai, je l’adorerai toujours, et lui ne m’aimera plus ! Ah ! mon frère, croyez-vous qu’il soit un supplice plus affreux que celui-là ?… Ah ! c’est celui des réprouvés, puisqu’ils adressent à tout moment au ciel des vœux que l’Éternel repousse. Ainsi donc, barbare, ce ne sera que pour me faire souffrir les tourments de l’enfer que tu auras désiré d’unir ta vie à celle que tu nommais ton ange… Cet ange n’est plus pour toi que celui des ténèbres, qui prépare les tourments de l’homme ; mais je ne serai jamais le tien, cher Alphonse ; oh ! non, jamais… Tout infidèle que tu es, tu t’affligerais de me voir t’imiter, et l’apparence même que je me donnerais de cette infidélité ferait, en troublant ta vie, tout le désespoir de la mienne… Je t’aimerai dans les bras de ma rivale… J’aimerai peut-être jusqu’à cette rivale même, comme environnée de ton amour, je l’aimerai, parce qu’elle fera ton bonheur… Ah ! que de torts j’aurais, si je ne préférais ici que le mien ! C’est ma délicatesse qui me vengera : j’en aurai toujours plus que toi, pour te faire repentir de n’en plus avoir ; et si mon dernier soupir peut s’exhaler dans ton sein toujours enflammé par l’amour, tu n’y verras pas même un reproche.

— Ah ! chère et tendre sœur, dit Théodore avec la plus grande énergie, vous ne m’offrez que les sophismes du sentiment, lorsque j’attends