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LA MARQUISE DE GANGE

verrez ce que, je ferai pour vous servir, et pour les convaincre tous deux, elle, que son mari lui est infidèle, et lui, que vous possédez le cœur de sa femme. — Alors, nous voilà sur le pré, il faudra se battre ; j’y consens, moi, les duels m’amusent beaucoup ; je tuerai l’époux, c’est certain, mais je n’ai pas gagné un pouce de terrain sur la femme. — Pas un mot, mon ami, pas un mot, vous êtes à cent lieues de la vérité : dans la crainte d’un éclat qui perdrait sa femme, mon frère ne se battra point, soyez-en très sûr ; il quittera le château, ira à Avignon, où l’appellent d’importantes affaires, et nous resterons les maîtres du champ de bataille. — Mon cher abbé, dit Villefranche, il serait impossible que les circonstances détruisissent tout ce qu’enfante votre imagination : je vais pourtant essayer ; tout m’y porte, car j’avoue que j’aime infiniment votre belle-sœur ; mais j’y renonce si j’échoue : j’aime mieux immoler mon amour que de causer la perte de celle qui l’allume.

Quelques mois se passèrent encore, sans que l’abbé recueillît aucun fruit de cette première ruse ; et, commençant à s’impatienter, il mit la seconde en jeu.

On était alors au milieu de l’été. La fraîcheur de la soirée avait déterminé une grande promenade dans le parc, ce qui divisa à peu près tout le monde. Par l’influence de l’abbé, le marquis,