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LA MARQUISE DE GANGE

on lui oppose de digues, plus on lui prête de forces pour les franchir ou les renverser.

Avant de mettre en mouvement les ressorts de son second plan, l’abbé crut néanmoins qu’il serait prudent de juger les effets du premier.

— Eh bien ! où en sont les affaires ? demanda-t-il à Villefranche, au bout d’un mois de patience.

— Aussi avancées que le premier jour, répondit le comte ; cette femme est inabordable, c’est un rocher de vertu. — je parie que vous vous y prenez mal : avec une femme de cette tournure, ce n’est point au cœur qu’il faut diriger ses premières attaques, c’est à l’amour-propre. Tâchez de lui persuader adroitement qu’il est ridicule de n’être rien dans le monde, avec les grâces et les charmes qui ne l’embellissent que pour plaire ; persiflez la foi conjugale ; allez plus loin : persuadez-lui que ce mari qu’elle préfère est le premier qui manque à ses serments, et que vous n’avez éprouvé des rigueurs d’Ambroisine que d’après l’aveu qu’elle vous a fait de son amour pour Alphonse, qui, de son côté, la préfère bien certainement à son épouse. Continuez ainsi de persuader l’esprit, nous aurons bientôt échauffé le cœur. — Ce moyen me paraît dangereux, dit Villefranche ; car, si je ne persuade pas Euphrasie, elle s’éclaircira avec Alphonse, et me voilà en butte à la colère de tous deux. — Oui, si je n’avais pas la certitude de fasciner les sens ; mais vous