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LA MARQUISE DE GANGE

devient le foyer de toutes. Il n’y a que le cœur de l’athée qui soit vide, et qui dès lors, ne pouvant admettre aucune vertu, s’ouvre naturellement à des vices dont il méconnaît le vengeur.

On ne s’occupa pendant tout le dîner que de l’effet produit par le sermon d’Eusèbe ; et on le fit d’autant plus à l’aise que le bon récollet, dînant chez le curé, n’avait point à s’alarmer des éloges qu’on lui prodiguait.

Le seul abbé de Gange fut assez froid sur cette matière. Il est des choses si naturelles et si simples, disait-il, que je suis toujours étonné qu’on en fasse le texte d’un sermon. Prêcher l’existence de Dieu, c’est supposer qu’il y ait des gens qui ne croient pas en lui ; et je n’imagine pas qu’il puisse en être un seul. — Je ne suis pas de votre avis, dit madame de Roquefeuille ; peu se déclarent, je le sais, mais je crois qu’il en existe beaucoup, et je regarderai toujours comme tels tous ceux qu’entraînent leurs passions. S’ils croyaient en Dieu, se livreraient-ils à ce qui l’offense ? — Et n’y a-t-il pas des lois, dit l’abbé, qui retiennent ceux que la crainte de Dieu n’arrête pas ? — Elles sont insuffisantes, reprit madame de Roquefeuille : il est facile de les éluder ! Il est tant de crimes secrets qu’elles n’atteignent pas, et l’homme puissant les brave avec tant d’audace ! Comment le faible ne frémira-t-il pas de la puissance du fort, s’il n’a pour consolation l’idée qu’un Dieu