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LA MARQUISE DE GANGE

gratifications, trouvait trop à gagner à ces raisonnements pervers, pour oser les combattre ; il se tut, et l’on se coucha.

Pendant quinze jours, tout ce que le voisinage et le château pouvaient offrir de distractions fut prodigué à l’abbé de Gange, pour le consoler des ennuis de la vie champêtre. Il y eut des repas, des bals, des parties de chasse dans le parc, des promenades sur les bords de l’Aude, rien ne fut oublié ; mais rien aussi n’apaisa les dangereuses impressions qu’Euphrasie faisait sur Théodore ; et, comme le jeune abbé voulait étouffer sa flamme, elle n’en devint que plus active, et il sentit bientôt l’impossibilité de résister à la main qui le replongeait dans l’abîme, Ses efforts étaient-ils bien réels ? Ne fait-on pas tout ce qu’on veut, quand on le veut bien ? Tel qui, en succombant, s’excuse sur la fatalité de son étoile n’est autre qu’un être faible, qui n’a pas le courage de la fixer.

— Oh ! mon ami, dit un jour Euphrasie à son époux, lorsqu’un peu de calme eut remplacé le tumulte des amusements, je ne sais si je me trompe, mais je suppose une grande différence entre ton frère et toi. Que je suis loin de lui croire cette bonté, cette douceur qui te caractérisent ! J’admets quelques vertus en lui ; mais elles n’éclatent pas dans son âme comme celles qui remplissent la tienne ; et tandis qu’il suffit de te voir pour t’aimer, je trouve qu’il lui faut beaucoup de soins