Page:Sade - La marquise de Gange, Pauvert, 1964.djvu/48

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
38
LA MARQUISE DE GANGE

doctrine à mademoiselle de Roquefeuille. Six heures sonnaient au donjon du château, lorsqu’un grand bruit extérieur annonça l’arrivée d’un nouvel hôte. Les deux battants roulent avec fracas sur leurs gonds épais ; Victor annonce monsieur l’abbé de Gange, qui n’a point encore paru chez son frère. — Quelle surprise ! s’écria le marquis, en serrant l’abbé dans ses bras ; enfin, mon cher Théodore, tu te rappelles donc qu’il existe un frère qui n’a jamais cessé de t’aimer ? — Peux-tu me croire capable de t’avoir oublié, répond le jeune clerc, âgé de vingt-deux ans, que les ordres n’enchaînaient point encore, et qu’une figure, quoique assez jolie, semblait destiner plutôt au culte de Mars qu’à celui des autels. Oh ! non, mon cher Alphonse, je n’ai point oublié un frère tel que toi, encore moins les devoirs que m’impose auprès d’une sœur la civilité dont je fis toujours profession. N’ayant jamais eu l’honneur de la voir, mes délais deviennent bien plus coupables, et je serais indigne de pardon, sans les nombreuses affaires qui me retiennent à Avignon depuis trois ans, éloigné de tout ce que je dois avoir de plus cher… Et ces mots ne s’étaient pas prononcés, sans que les regards de Théodore ne se fussent portés avec autant d’embarras que de surprise sur ceux de son aimable sœur.

— J’avais un portrait de madame, poursuivit l’abbé, en reportant ses yeux avec ardeur une